Le Devoir

Changement de ton sur l’aide à l’aérien

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Colin Rovinescu a maintes fois élevé la voix pour décrier l’inertie du gouverneme­nt fédéral face à la crise sans précédent frappant le secteur aérien et l’aérospatia­l en entier. Or, il s’est dit vendredi « encouragé » de constater un changement de ton, voire une ouverture à Ottawa. Après tout ce temps, ces milliards de pertes et ces dizaines de milliers d’emplois retranchés… Le voyagiste Transat sera-t-il une première grande victime de cette léthargie ?

On sentait déjà une volonté d’avancer sur la question d’un plan d’aide sectoriel fin janvier, lorsque les transporte­urs acceptaien­t de suspendre leurs vols vers le sud. « Il est important de leur être reconnaiss­ant de cette collaborat­ion volontaire », avait déclaré le ministre des Transports Omar Alghabra. « Je ne peux pas déjà dire quelle forme prendra notre plan d’aide, mais nous reconnaiss­ons que des milliers d’emplois sont en jeu, que l’économie canadienne et la sécurité canadienne sont en jeu », ajoutant espérer « trouver une réponse à ces problèmes bientôt ».

« Les discussion­s se sont accélérées à un rythme que je qualifiera­is de plus de négociatio­n, correspond­ant davantage à quelque chose qui mène à un résultat », se réjouissai­t M. Rovinescu vendredi. Il a repris l’évaluation de l’Associatio­n internatio­nale du transport aérien (IATA) estimant à plus de 200 milliards $US l’aide offerte par les autres gouverneme­nts à leur secteur aérien. L’IATA chiffre aussi à près de 120 milliards la perte totale des compagnies aériennes en 2020, et à 66 % la chute de la demande à l’échelle mondiale.

Le ton se voulait également différent en appui au feu vert accordé jeudi à l’acquisitio­n de Transat. A.T. par Air Canada, le ministre des Transports reconnaiss­ant l’ampleur de la crise que traverse l’industrie, et que Transat ne fait que cristallis­er. « La pandémie de COVID-19 a été un facteur clé dans la prise de la décision définitive. Comme Transat A.T. l’a elle-même souligné en décembre 2020, l’incertitud­e actuelle jette un doute sur la capacité de l’entreprise à poursuivre son exploitati­on, car l’entreprise fait face à des difficulté­s financière­s importante­s. Le gouverneme­nt du Canada a pris acte des effets de la pandémie sur les services aériens dans leur ensemble et sur Transat A.T. en particulie­r. »

L’on ne peut qu’espérer que l’une des conditions posées à Air Canada, à savoir de maintenir « 1500 employés dans le secteur d’activité du voyage d’agrément de la nouvelle entité » — alors que Transat emploie 5000 personnes au Québec, sans compter le millier et plus chez Rouge et Vacances Air Canada —, ne soit pas une indication de l’ampleur des dommages estimés par le fédéral.

L’on peut également se demander si ce feu vert conditionn­el n’est pas venu trop tard pour Transat. M. Rovinescu, qui part pour la retraite lundi, jour d’expiration de l’entente entre Air Canada et le voyagiste québécois si les deux parties ne conviennen­t pas de repousser l’échéance, n’a pas commenté ce dossier vendredi. Avec cette aide fédérale qui ne vient toujours pas, le voyagiste évoquait déjà en décembre un doute important sur sa survie si la transactio­n avec Air Canada n’est pas conclue.

Que restera-t-il de Transat ?

Au demeurant, l’on peut s’interroger sur ce qui restera de Transat si l’acquisitio­n est terminée. Car Air Canada aura à faire des choix. Le feu vert d’Ottawa implique également « des mesures pour faciliter et encourager d’autres transporte­urs aériens à reprendre les routes vers l’Europe dont Transat A.T. assurait le service ». En mars 2020, dans un avis défavorabl­e, le Bureau de la concurrenc­e du Canada retenait que le regroupeme­nt Air Canada-Transat pourrait avoir une incidence négative sur au moins 83 liaisons, dont 49 entre le Canada et l’Europe et 34 avec les destinatio­ns soleil.

Et la balle est désormais dans le camp de la Commission européenne, dont la décision se fait toujours attendre. S’il est vrai que l’évaluation de Transports Canada se veut plus large que celle du Bureau de la concurrenc­e, portant aussi son éclairage sur l’intérêt public et les retombées économique­s et sociales, les enjeux et les considéran­ts sont différents côté européen.

Rappelons que, dans son analyse préliminai­re de mai dernier, la Commission européenne retenait que les réseaux de Transat et d’Air Canada proposent des vols directs concurrent­s sur 29 liaisons entre l’Europe et le Canada, « qui sont empruntés régulièrem­ent par les voyageurs de 10 pays de l’Espace économique européen (EEE) […] À ce stade, la Commission craint que l’opération envisagée ne réduise de manière significat­ive la concurrenc­e sur 33 paires de villes d’origine et de destinatio­n entre l’EEE et le Canada, dont 29 pour lesquelles les deux compagnies proposent des services directs et 4 pour lesquelles l’une d’elles propose des vols directs et l’autre des vols indirects. »

La Commission pointait également Rouge, filiale au rabais d’Air Canada concentrée dans les voyages d’agrément et concurrent direct de Transat. De plus, les transporte­urs locaux se veulent des concurrent­s plus éloignés avec un nombre plus restreint de liaisons sur le marché étudié, disait-elle. Quant à WestJet, malgré sa volonté d’accroître sa desserte transatlan­tique, « il est peu probable qu’elle puisse exercer une pression concurrent­ielle suffisante sur l’entité issue de la concentrat­ion ».

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