Le Devoir

Petits oiseaux, grandes ambitions

Et légère déception devant cette série se voulant imprégnée de l’univers d’Anaïs Nin

- CRITIQUE NATALIA WYSOCKA

L’écran explose de couleurs pastel. Le bleu pâle des murs reflète celui du ciel. Les oiseaux gazouillen­t fort, vraiment fort, accompagné­s par le tic-tac assourdiss­ant de l’horloge. Gros plan sur le cendrier qui déborde de mégots de cigarettes. Gros plan sur des pilules prescrites « pour aller mieux ». Gros plan sur un psychiatre qui chante une réplique. Gros plan sur sa patiente qui s’en libère.

On dit qu’il ne faut pas toujours se fier à sa première impression. Mais ces quelques secondes d’introducti­on donnent le ton. Little Birds sera une série aux airs de cacophonie. Où l’on hésitera toujours entre la réalité et le rêve, le kitsch et le sérieux, le fantasme et le tangible, l’exagéré et le contenu.

Originalit­é voulue ? Plaquée ? Artificiel­le ? Là aussi, on hésite. Entre une discussion sur les joies de l’ananas hawaïen, un monologue sur les bienfaits des étirements du cou, une séance de domination et des embrassade­s à la plage, Little Birds offre un mélange de scènes et de sensations qui ne semblent pas toujours avoir de lien entre elles.

C’est au coeur de ce léger cafouillag­e qu’évolue la fiancée aux yeux écarquillé­s d’émerveille­ment incarnée par Juno Temple. Surprotégé­e par ses parents — maman choisit ses vêtements, papa lui donne un gun pour se défendre —, elle se rend à Tanger pour enfin se libérer. Se marier, en fait. Donc, rectificat­ion, ne pas se libérer. Mais se placer dans une autre situation compliquée.

Car si elle rêve de sortir, de danser, de s’amuser, son époux, joué avec force naïveté par Hugh Skinner, n’en a pas du tout envie. Du moins, pas avec elle.

Irrité par l’arrivée de cette « nouvelle cargaison », il se montre grognon et distant. S’il endure cette femme curieuse et fascinée par tout, c’est uniquement parce qu’elle a des sous. Beaucoup de sous. Des sous qu’elle dépensera notamment dans une séance de magasinage qui donnera lieu à un joli défilé de tissus.

Leurs chicanes et leurs bouderies se déroulent en 1955, principale­ment dans ce Tanger où les fêtes extravagan­tes se multiplien­t, où les nuits n’ont pas de fin. Où les riches expatriés donnent dans les excès, indifféren­ts au climat social tendu et à la révolution qui gronde.

Dans le décor

Créée par Sophia Al Maria, cinéaste qatarie-américaine, Little Birds se présente comme une adaptation de l’oeuvre d’Anaïs Nin. Plus précisémen­t, du deuxième recueil de nouvelles érotiques portant ce même titre et paru deux ans après sa mort, en 1979. Mais la formule « adapté de » semble assez généreuse. Disons plutôt « très vaguement inspiré par ».

L’étiquette « érotique » également collée à la série semble, elle aussi, de trop ici. Quelques scènes d’eau sur le corps et de fraises dans la bouche ne font pas une oeuvre érotique. L’érotisme, ce sont les non-dits, la chorégraph­ie des corps, la façon de filmer le désir, une certaine ambiance qui s’installe. Toutes choses qui font défaut à cette production où rien n’est vraiment suggéré, mais plutôt montré dans un enrobage bigarré et cartoonesq­ue, presque.

L’esthétique rappelle celle de Sofia Coppola, si Sofia aimait la sursaturat­ion excessive des couleurs. L’impression perpétuell­e d’être dans un décor ne se dissipera pas une seule seconde pendant les trois épisodes rendus disponible­s pour visionneme­nt.

Trois autres seulement complètent l’entièreté de la série réalisée par Stacie Passon, qui a travaillé sur

Transparen­t et Dickinson. Peut-être que c’est dans ces trois dernières heures que se trouve la clé de l’intrigue ? Pour l’instant, les histoires s’imbriquent dans un patchwork de vignettes, sans forcément se compléter.

Il y a ce barman qui enregistre les conversati­ons de ses clients. Cette travailleu­se du sexe qui rejette l’autorité. Cet amoureux qui doit servir de garçon à tout faire pour une richissime comtesse. Et cette comtesse, justement, qui organise des soirées où tout est permis. (Notons ici que cette dernière est incarnée par l’actrice fétiche de Pedro Almodóvar, Rossy de Palma, qui joue un rôle très… Rossy de Palma. Charismati­que, stylée, assumée.)

Souvent plus malaisant qu’excitant,

Little Birds mise beaucoup sur des dialogues qui, fréquemmen­t, ne mènent nulle part. Le jeu théâtral de certains acteurs qui se heurte à celui, plus discret, des autres rend d’autant plus décousue cette chronique d’époque échevelée et étrange. Étrange aussi, cette décision de faire parler tous les personnage­s dans un anglais parfois approximat­if plutôt qu’en arabe et en français (à l’exception de quelques phrases, de La Marseillai­se, et du Au suivant de Brel interprété avec vigueur par un chansonnie­r).

À une époque où les séries soustitrée­s sont légion, plus besoin de faire comme si la planète entière s’exprimait en anglais en tout temps. Au suivant ?

Little Birds

Sur le volet Starz de Crave dès le 14 février. En version française dès le 21 février sur le volet Super Écran de Crave.

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STARZ/CRAVE Little Birds offre un mélange de scènes et de sensations qui ne semblent pas toujours avoir de lien entre elles. C’est au coeur de ce léger cafouillag­e qu’évolue la fiancée aux yeux écarquillé­s d’émerveille­ment incarnée par Juno Temple.

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