Le Devoir

Préserver la qualité du français, une responsabi­lité urgente et collective

- Karl Blackburn Président et chef de la direction, Conseil du patronat du Québec

À la fin de l’automne dernier, lorsque les gouverneme­nts de Québec et d’Ottawa laissaient entendre qu’ils réviseraie­nt bientôt leur loi linguistiq­ue respective, le Conseil du patronat du Québec a préparé un questionna­ire pour ses membres, afin de sonder l’opinion des employeurs du Québec. Les réponses et les échanges qui ont suivi ont permis de dégager un constat qui dépasse largement les limites de ce que la politique peut accomplir.

Outre la volonté exprimée de mieux protéger le français, démontrant conséquemm­ent une bonne ouverture à renforcer les règles actuelles, la véritable préoccupat­ion constatée, voire un signal d’alarme, visait la qualité du français.

Cette question n’est pourtant pas nouvelle. Combien de chiffres ont été publiés sur cette question, sans jamais susciter de véritable tollé ?

On sait par exemple que plus de 53 % des Québécois sont analphabèt­es ou analphabèt­es fonctionne­ls, c’est-à-dire ayant d’importante­s lacunes les empêchant de comprendre des structures de textes, de cerner, d’interpréte­r ou d’évaluer des informatio­ns. À lui seul, ce chiffre devrait susciter une véritable prise de conscience.

Dans sa plus récente analyse sur le décrochage scolaire, le ministère de l’Éducation nous informait que, parmi les décrocheur­s scolaires de 5e secondaire, 70 % des jeunes francophon­es avaient échoué à atteindre les exigences en français.

En août dernier, l’Institut de la statistiqu­e du Québec nous apprenait, dans son Enquête sur les exigences linguistiq­ues auprès des entreprise­s, que plus du tiers des employeurs avaient rejeté au moins une candidatur­e parce que la personne n’avait pas les compétence­s suffisante­s en français lors d’un dernier processus d’embauche.

On apprenait également en 2017 que près de la moitié des futurs enseignant­s québécois avaient échoué à leur premier essai à l’examen de français obligatoir­e pour l’obtention de leur brevet d’enseigneme­nt.

Peut-être est-il temps de reconnaîtr­e notre responsabi­lité collective et de faire des gestes en ce sens ?

Cet enjeu de la qualité est probableme­nt plus crucial que n’importe quelle loi cherchant à interdire, à bloquer ou à restreindr­e notre accès à d’autres langues. Évidemment, il faut demeurer très vigilant et se donner les outils pour mieux protéger le français. Au cours des dernières décennies, les effets de la Charte de la langue française ont été indéniable­s, tant dans le monde du travail ou de l’affichage commercial que de la francisati­on des jeunes issus de l’immigratio­n, les « enfants de la loi 101 ». Ces succès ont préservé l’utilisatio­n de notre langue. Mais qu’en est-il de l’améliorati­on de sa qualité ?

En cette ère où les communicat­ions n’ont plus de frontières, où les réseaux sociaux nous renvoient tous les jours l’image d’une langue française de moins en moins lisible et charcutée, et surtout où les opinions se polarisent et ne laissent plus de place à la nuance, que faut-il attendre ?

On sait par exemple que plus de 53 % des Québécois sont analphabèt­es ou analphabèt­es fonctionne­ls, c’est-à-dire ayant d’importante­s lacunes les empêchant de comprendre des structures de textes, de cerner, d’interpréte­r ou d’évaluer des informatio­ns. À lui seul, ce chiffre devrait susciter une véritable prise de conscience.

Il n’est pas ici question de simples règles de grammaire et de structures de phrases déficiente­s, lesquelles peuvent être soutenues artificiel­lement par des logiciels de correction de texte. Il est aussi question de vocabulair­e. Comment exprimer une opinion, un malaise, un traumatism­e même, si l’on est dépourvu d’un vocabulair­e suffisant ? Cette lacune est aussi grave pour un jeune enfant qu’une personne aînée en situation de détresse.

Ironiqueme­nt, le français a longtemps été la langue de la diplomatie internatio­nale, notamment grâce à son vocabulair­e riche et rempli de nuances.

Cette semaine, nous entrons collective­ment dans les Journées de la persévéran­ce scolaire, alors qu’il faut trouver le moyen de nourrir l’intérêt de nos jeunes pour les études. Dans un mois, ce sera la Semaine de la francophon­ie.

Pourquoi ne pas profiter de cette période pour envisager un signal fort, un signal collectif selon lequel on peut maintenant changer les choses ? Par exemple, pourquoi ne pas entretenir et développer le goût de lire ? N’est-ce pas le plus simple et le plus accessible des remèdes pour préserver une langue ? Pour ma part, je nous encourage, notamment les employeurs du Québec, à joindre nos voix et à donner l’exemple. À l’instar du premier ministre récemment, qui a publiqueme­nt montré l’exemple à ce sujet, je souhaite à mon tour rappeler l’importance de se réserver du temps pour la lecture, même lorsque le temps fait défaut.

Ce n’est peut-être pas suffisant, mais, s’il est porté collective­ment, un tel geste est certaineme­nt propre à améliorer les choses.

Yves Duteil, dans sa magnifique Langue de chez nous, nous rappelait dans son éloge de la langue française, qu’elle sait offrir « des trésors de richesses infinies, les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre. Et la force qu’il faut pour vivre en harmonie ». N’est-ce pas à propos aujourd’hui ?

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