Un village à reconstruire au coeur de Pointe-aux-Trembles
Des projets de revitalisation sont en marche pour que le secteur retrouve ses lettres de noblesse passées
Le potentiel économique de l’est de Montréal, longtemps négligé, est maintenant vanté par les politiciens et les gens d’affaires. Le REM devrait accélérer son développement lors de sa mise en service, en 2029. Mais d’ici là, les citoyens et les entreprises de l’Est ont des projets plein la tête afin de donner de la vitalité à leurs quartiers. Première de quatre escales : le Vieux-Pointeaux-Trembles
Àquelques pas du fleuve Saint-Laurent, d’une église historique et de la place du Village-de-la-Pointe-aux-Trembles aménagée il y a six ans, la rue Notre-Dame Est est une enfilade de locaux commerciaux, dont plusieurs sont vides.
La propriétaire d’une boutique de produits fins du secteur, Huile et vinaigre, décrit la situation. « On a un emplacement exceptionnel. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait pas de beaux restaurants ou de bistros », estime Joanne Paiement, en activité dans le secteur depuis 40 ans. « On était sans oxygène depuis longtemps, avec une artère moribonde, poursuit-elle. Pour la première fois depuis 20 ans, il y a un point d’orgue, on regarde dans la même direction. »
L’un des responsables de cette bouffée d’air frais, c’est la Société de développement Angus (SDA), une entreprise sociale en immobilier, qui est notamment à l’origine du projet de Technopôle Angus, dans Rosemont. La SDA a acquis un quadrilatère au coeur du vieux village, entre les rues Sainte-Anne et Saint-Jean-Baptiste, dans le but d’y reconstruire complètement des locaux commerciaux et des logements, en concertation avec la communauté. Les travaux pourraient commencer en 2022.
En attendant, les locaux vides ne le resteront pas. Ils feront l’objet d’une occupation transitoire. Une occupation, quoi ? C’est dans un local vide de 420 mètres carrés, à la façade repeinte dans des couleurs vives, que les responsables du projet ont accueilli les citoyens pour leur expliquer le concept.
« Il est rare que les jeunes commerçants aient besoin d’un espace si grand quand ils se lancent dans les affaires. On leur offre donc la possibilité de se retrouver à plusieurs dans un même espace », explique Francis Lacelle, l’ancien directeur au développement des projets d’Entremise, à qui la SDA a confié le mandat de créer des partenariats avec des entrepreneurs locaux.
Développer une jeune communauté d’affaires
Une vingtaine de projets ont été soumis à Entremise, qui en sélectionnera quelques-uns dans le cadre de cette initiative nommée Courtepointe. « On peut imaginer un espace boutique en avant, réfléchi en fonction de la COVID-19 pour que tous se sentent en sécurité. En arrière, il pourrait y avoir, en fonction des besoins de chacun, divers espaces de travail pour des gens qui veulent donner des cours de couture, faire des réunions ou avoir un espace de travail », indique M. Lacelle.
Dans un autre local vide qui appartient maintenant à la SDA, une épicerie zéro déchet doit ouvrir ses portes dès le mois de mars. À sa tête, deux femmes se lancent dans les affaires pour la première fois. « Je fréquentais plusieurs épiceries zéro déchet dans d’autres quartiers pour compléter mes achats. À un moment donné, je me suis dit : “Il n’y en a pas dans Pointeaux-Trembles, pourquoi attendre que quelqu’un d’autre en ouvre une ? Je pourrais le faire, j’ai toujours voulu être en affaires” », raconte la copropriétaire Valérie Goulet, actuellement travailleuse de la santé à domicile.
Aux P’tits bocaux doit occuper le local de 110 mètres carrés jusqu’à sa démolition, puis la boutique sera déplacée le temps des travaux dans un endroit trouvé par la SDA. Une fois le nouveau projet immobilier construit, le commerce pourrait venir s’y installer pour de bon. « Le loyer est très intéressant, mais au-delà du loyer, c’est l’encadrement que ça nous procure qui est une belle occasion », rapporte l’autre copropriétaire, Layal Boustani, qui est cadre dans une entreprise de télécommunications.
Toutes ces expérimentations doivent permettre au promoteur immobilier de créer son projet commercial sur mesure, en fonction des besoins de la communauté d’affaires locale.
Un quartier historique
Pour plusieurs citoyens engagés du Vieux-Pointe-aux-Trembles, ce projet est un premier pas pour que le secteur retrouve ses lettres de noblesse passées. Pierre Desjardins, vice-président de l’Atelier d’histoire de la Pointeaux-Trembles, souligne que Pointeaux-Trembles, fondée en 1674, est au deuxième rang des plus vieilles paroisses de l’île de Montréal.
Il aurait apprécié que le grand projet de transport, au lieu du Réseau express métropolitain (REM), soit un tramway circulant rue Notre-Dame, comme c’était le cas au début du XXe siècle. Le train express doit passer plus au nord, rue Sherbrooke.
« La rue Notre-Dame a été un grand axe commercial pendant une soixantaine d’années, rapporte M. Desjardins. À mesure que la population s’est accrue au nord, de nouvelles zones commerciales ont été développées, et NotreDame a décliné.
Pointe-aux-Trembles est en concurrence avec Repentigny, Lachenaie, les Galeries d’Anjou et la Place Versailles, où il y a toute une variété de commerces. Si on veut relancer le Vieux-Pointeaux-Trembles, il faut attirer des commerces différents : des petits cafés, des théâtres, des musées, des boutiques originales. »
Virginie Journeau, impliquée dans plusieurs organismes du secteur, croit que Pointe-aux-Trembles a tout pour attirer les jeunes et les familles en quête d’un milieu de vie abordable et agréable, comme en témoignent de nombreux projets immobiliers récents ou en cours. Mais qu’il reste du travail à faire.
« Quand je parle à mes amis qui ont grandi ici, il y en a beaucoup qui reviennent acheter une propriété. Mais il manque des endroits où se rencontrer. J’aimerais qu’il y ait une microbrasserie ou un restaurant végétarien où l’on puisse se relaxer avant d’aller voir un spectacle », rêve celle qui est au conseil d’administration du Marché public du Village de Pointe-aux-Trembles.
Pour ce qui est des spectacles, le quartier n’est pas en reste, notamment grâce au Théâtre de l’oeil ouvert, une compagnie résidente de la Maison de la culture de Pointe-aux-Trembles. « Mon conjoint et moi, qui dirigeons la compagnie depuis plus de dix ans, on s’est acheté une maison à Pointeaux-Trembles dans l’idée de la rénover et de la revendre. Finalement, on a eu un coup de foudre pour l’endroit et pour sa communauté, alors on est restés », raconte la directrice générale, Jade Bruneau.
Mme Bruneau fait le pari que leur art peut améliorer la qualité de vie des habitants du secteur. Dans la dernière année, son équipe a offert à domicile des spectacles sur mesure inspirés de la vie de personnes qui, selon leurs concitoyens, se sont démarquées. À l’été 2019, ils ont produit des spectacles extérieurs au belvédère du VieuxPointe-aux-Trembles, réunissant des centaines de personnes. La comédienne rêve maintenant d’un nouveau lieu de diffusion, qui attirerait des spectateurs de la grande région de Montréal et qui nourrirait les commerces locaux.
Attirer la jeunesse
« C’est un secteur formidable, avec une navette fluviale. C’est vraiment un endroit où il fait bon vivre pour les trentenaires. On veut créer un renouveau, attirer la jeunesse et être partie prenante de cette transformation », dit Mme Bruneau.
Les citoyens rêvent également d’un réaménagement plus global de la rue : élargissement des trottoirs, piste cyclable, verdissement. L’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles reconnaît qu’elle a besoin d’une refonte complète et précise par courriel qu’elle sera « coordonnée avec les projets de revitalisation du secteur ». Des annonces se font toujours attendre en ce sens.
On était sans oxygène depuis longtemps, avec une artère moribonde. Pour la première fois depuis 20 ans, il y a un point d’orgue, on regarde dans la même direction.
JOANNE PAIEMENT