Le Devoir

Ottawa resserre ses lois sur les armes à feu

Le programme de rachat d’armes d’assaut interdites sera volontaire, au grand regret des groupes comme PolySeSouv­ient

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA Avec Marco Bélair-Cirino

Le gouverneme­nt Trudeau veut permettre à quiconque a des inquiétude­s pour sa sécurité de faire saisir une arme à feu, établir des peines plus sévères pour resserrer le contrôle de ces armes et concrétise­r l’interdicti­on des armes d’assaut adoptée l’an dernier. Mais audelà de ces nouvelles mesures annoncées mardi, ce sont celles qui ne figuraient pas au projet de loi libéral qui ont été dénoncées. Le programme de rachat d’armes d’assaut sera bel et bien volontaire, a confirmé Ottawa, tandis que les villes n’ont aucune garantie qu’elles pourront réellement bannir les armes de poing comme promis.

Le projet de loi C-21 propose une importante modificati­on au Code criminel canadien. « Toute personne » qui craint qu’un propriétai­re d’arme à feu ne présente un danger pour autrui ou pour luimême pourrait désormais demander à un juge de lui retirer l’accès à cette arme pendant un mois. À l’heure actuelle, seules les autorités policières ou de contrôle des armes à feu ont ce pouvoir.

La propositio­n législativ­e vise aussi à sévir davantage contre la contreband­e et le trafic d’armes à feu, de même que la possession d’une arme obtenue à la suite d’une infraction ou celle d’une arme prohibée ou restreinte chargée en faisant passer les peines maximales pour ces infraction­s de 10 à 14 ans de prison.

Justin Trudeau s’est également félicité mardi de réaliser sa promesse « de permettre aux villes d’interdire les armes de poing et c’est précisémen­t ce que nous faisons ». Or, le projet de loi C-21 prévoit simplement que le respect d’éventuels règlements municipaux visant à restreindr­e fortement « l’entreposag­e et [le] transport » de ces armes devienne une condition relative au permis fédéral de possession. De ce fait, une violation de cette condition pourrait désormais entraîner la révocation du permis ou une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison. Mais il n’est pas prévu que les municipali­tés puissent carrément interdire la possession des armes de poing.

Interdicti­on théorique pour les villes

La mairesse de Montréal a maintes fois réclamé que le fédéral interdise lui-même ces armes, plutôt que de laisser le soin aux villes de le faire sur leur territoire. Valérie Plante a rappelé mardi que de telles « disparités d’applicatio­n menacent la portée réelle d’une réglementa­tion municipale » et « impose aux villes la gestion d’un enjeu dont la complexité dépasse l’échelle locale ».

Rien n’oblige, en plus, les provinces à le leur permettre. L’Ontario et l’Alberta s’y opposent, tandis que la Saskatchew­an a modifié ses lois pour empêcher ses villes de le faire. Les fonctionna­ires du fédéral ont confirmé, en séance d’informatio­n, que les provinces conservent le pouvoir constituti­onnel de délimiter les règlements que leurs municipali­tés peuvent adopter.

Le premier ministre François Legault a dit avoir « un gros problème avec le fait que des pouvoirs soient délégués à des municipali­tés », ce qui laisse présager au Québec 1100 règlements municipaux différents.

Peu importe que les propriétai­res d’armes ne seront pas “autorisés” à les utiliser. Le fait est qu’ils le peuvent. Et ça n’en prend qu’un seul pour provoquer un massacre.

NATHALIE PROVOST »

Pas de rachat obligatoir­e

Justin Trudeau a par ailleurs dû se défendre de ne prévoir qu’un programme de rachat volontaire des 1500 armes d’assaut interdites par son gouverneme­nt en mai dernier. Le projet de loi C-21 obligera les propriétai­res à obtenir un permis de possession, à enregistre­r leur arme et à se conformer à une série de mesures qui les rendent essentiell­ement inutilisab­les. Il deviendra impossible de s’en servir, de les transporte­r, de les vendre ou de les léguer.

Dans un deuxième temps, « dans les prochains mois », le gouverneme­nt compte offrir un programme de rachat à ces propriétai­res. Mais ceux qui le souhaitent pourront profiter d’une clause grand-père pour conserver leurs armes tout en acceptant de ne pas les utiliser.

Le premier ministre Trudeau s’est dit convaincu que la « grande majorité » accepterai­t de les revendre à l’État puisqu’ils « vont se rendre compte que ça ne sert absolument à rien de les garder maintenant ».

Son ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, a rapporté, pour défendre son programme volontaire, qu’en Nouvelle-Zélande un programme de rachat obligatoir­e n’avait permis de récupérer qu’environ 55 000 des 150 000 armes d’assaut estimées en circulatio­n parce que les autorités ne savaient pas où les trouver. D’où l’idée d’Ottawa d’exiger d’abord leur enregistre­ment en vertu du projet de loi C-21.

Le fédéral estime que son programme de rachat pourrait viser de 150 000 à 200 000 armes d’assaut et coûter entre 300 et 400 millions de dollars, a prédit le ministre Blair.

Déception de tous bords

Nathalie Provost, qui a survécu au massacre de Polytechni­que, a déploré qu’un programme de rachat volontaire laisse trop d’armes d’assaut en circulatio­n. « Peu importe que les propriétai­res d’armes ne soient pas “autorisés” à les utiliser. Le fait est qu’ils le peuvent. Et ça n’en prend qu’un seul pour provoquer un massacre. »

Dans le camp inverse, la Coalition pour le droit des armes à feu a dénoncé que les libéraux fassent de la sécurité publique « un enjeu purement politique » en ne faisant rien pour prévenir réellement les fusillades perpétrées dans les grandes villes. « Ce projet de loi n’est qu’électorali­ste. »

À Ottawa, aucun des partis d’opposition n’a voulu se prononcer et révéler s’il appuierait ou non ce projet de loi qui nécessite l’appui d’au moins l’un d’entre eux pour être adopté.

 ?? JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE ?? Le projet de loi C-21 obligera les propriétai­res d’une des 1500 armes d’assaut interdites par Ottawa en mai dernier, comme l’AR-15, à obtenir un permis de possession, à enregistre­r leur arme et à se conformer à une série de mesures qui les rendent essentiell­ement inutilisab­les.
JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE Le projet de loi C-21 obligera les propriétai­res d’une des 1500 armes d’assaut interdites par Ottawa en mai dernier, comme l’AR-15, à obtenir un permis de possession, à enregistre­r leur arme et à se conformer à une série de mesures qui les rendent essentiell­ement inutilisab­les.

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