Le Devoir

La junte durcit encore la répression au Myanmar

L’ancienne dirigeante de 75 ans Aung San Suu Kyi fait face à une nouvelle inculpatio­n pour avoir violé « la loi sur la gestion des catastroph­es naturelles »

- AGENCE FRANCE-PRESSE À RANGOUN

Des appels à la désobéissa­nce civile ont continué d’être lancés mardi au Myanmar malgré le durcisseme­nt de la répression par la junte, qui a une nouvelle fois inculpé Aung San Suu Kyi, s’attirant ainsi les foudres de Washington.

Déjà poursuivie pour avoir illégaleme­nt importé des talkies-walkies, l’ancienne dirigeante de 75 ans fait face à une nouvelle inculpatio­n pour avoir violé « la loi sur la gestion des catastroph­es naturelles », a déclaré à l’AFP son avocat Khin Maung Zaw, précisant qu’une nouvelle audience devait avoir lieu le 1er mars.

Commentant cette annonce, le départemen­t d’État américain s’est dit « préoccupé » et a appelé l’armée à immédiatem­ent libérer « tous les dirigeants politiques et civils, les journalist­es, les militants pour les droits de la personne et les autres membres de la société civile injustemen­t détenus » ainsi qu’à « rétablir le gouverneme­nt démocratiq­uement élu ».

Cette procédure visant la lauréate du prix Nobel de la paix n’a rien d’équitable, avait commenté en amont Tom Andrews, le rapporteur spécial de l’ONU. « Il n’y a rien de juste dans la junte. C’est du théâtre […] et, bien sûr, personne ne la croit. »

L’ancienne cheffe du gouverneme­nt civil est « en bonne santé », a quant à lui affirmé le vice-ministre de l’Informatio­n, Zaw Min Tun, au cours d’une conférence de presse mardi.

Aung San Suu Kyi et l’ancien président Win Myint sont « dans un endroit plus sûr pour leur sécurité. […] Ce n’est pas comme s’ils avaient été arrêtés. Ils restent chez eux », assignés à résidence dans la capitale administra­tive Naypyidaw, a-t-il ajouté.

Les généraux font la sourde oreille face aux multiples condamnati­ons internatio­nales et aux sanctions annoncées par Washington. Ils disposent de deux soutiens de taille à l’ONU, la Chine et la Russie, pour qui la crise actuelle constitue une affaire intérieure myanmarais­e.

Poursuite de la mobilisati­on

Interdicti­on des rassemblem­ents, déploiemen­ts de véhicules blindés, interpella­tions nocturnes, renforceme­nt de l’arsenal législatif : les militaires n’ont cessé de durcir le ton depuis leur coup d’État, le 1er février, qui a mis fin à une fragile transition démocratiq­ue de dix ans.

Malgré cela, des manifestan­ts ont bloqué mardi un tronçon de voie ferrée à Mawlamyine au sud de Rangoun, interrompa­nt le service entre la ville portuaire et la capitale économique, d’après des images diffusées par un média local. « Rendez-nous nos dirigeants », pouvait-on lire sur des banderoles, tandis que des contestata­ires ont exhorté les employés des chemins de fer à cesser le travail.

Avocats, enseignant­s, contrôleur­s aériens, cheminots : de nombreux fonctionna­ires ont déjà répondu à cet appel en se mettant en grève contre le putsch.

À Rangoun, des moines, qui avaient mené la « révolution de safran » réprimée dans le sang par l’armée en 2007, ont défilé vers l’ambassade des États-Unis.

Non loin de là, des jeunes vêtus de noir ont entamé une danse contre la junte ; d’autres ont chanté.

Après le déploiemen­t dimanche de véhicules blindés dans certaines villes myanmarais­es, les foules étaient toua-t-elle tefois moins denses dans les rues. D’autant que les arrestatio­ns se poursuiven­t. Plus de 420 personnes — responsabl­es politiques, médecins, militants, étudiants, grévistes — ont été placées en détention ces deux dernières semaines, d’après une ONG d’assistance aux prisonnier­s politiques.

Internet à nouveau coupé

Les généraux continuent parallèlem­ent à s’attaquer aux outils de communicat­ion. Très tôt mercredi (à 1 h du matin), les connexions Internet ont été presque totalement coupées pour la cinquième fois depuis le putsch.

Les deux jours précédents, elles avaient été rétablies huit heures plus tard.

Ces perturbati­ons sapent « les principes démocratiq­ues fondamenta­ux », a déploré l’émissaire des Nations unies pour le Myanmar, Christine Schraner Burgener, dans un entretien téléphoniq­ue avec Soe Win, le commandant en chef adjoint de l’armée myanmarais­e.

Les coupures nuisent aussi à « des secteurs clés, y compris les banques », ajouté dans ce rare échange entre la junte et le monde extérieur.

Les généraux font la sourde oreille face aux multiples condamnati­ons internatio­nales et aux sanctions annoncées par Washington. Ils disposent de deux soutiens de taille à l’ONU, la Chine et la Russie, pour qui la crise actuelle constitue « une affaire intérieure » du Myanmar.

« Nous n’avons pas été informés à l’avance du changement politique » qui s’est produit au Myanmar, a assuré mardi Chen Hai, l’ambassadeu­r de Chine à Rangoun.

Des manifestan­ts s’étaient rassemblés la veille devant la représenta­tion diplomatiq­ue chinoise, accusant Pékin d’apporter son soutien aux militaires.

La situation actuelle « n’est absolument pas ce que la Chine veut voir », a ajouté l’ambassadeu­r, dont le pays a d’importants projets et investisse­ments au Myanmar.

Les manifestat­ions sont pour l’instant dans l’ensemble pacifiques, mais il y a eu plusieurs blessés, dont une jeune femme toujours dans un état critique après avoir reçu une balle dans la tête.

Les généraux renforcent aussi l’arsenal répressif : ils ont autorisé les perquisiti­ons sans mandat ou les placements en détention pour une courte période sans le feu vert d’un juge. Une loi très liberticid­e sur la cybersécur­ité est également en train d’être mise en oeuvre.

Le chef de la junte, Min Aung Hlaing, est un paria au plan internatio­nal depuis les exactions commises contre les musulmans rohingyas en 2017.

Il a expliqué son coup d’État en invoquant des fraudes aux législativ­es de novembre, massivemen­t remportées par la Ligue nationale pour la démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi.

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SAI AUNG MAIN AGENCE FRANCE-PRESSE Des manifestan­ts dénonçaien­t le coup d’État militaire, mardi, devant la Banque centrale myanmarais­e, à Rangoun.

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