Le Devoir

Une interprète était à l’hôpital

Ce n’est que trop tard qu’elle a été appelée en renfort

- MAGDALINE BOUTROS

Barbara Flamand, l’agente de liaison en sécurisati­on culturelle pour la communauté atikamekw de Manawan, était sur place à l’hôpital de Joliette lorsque Joyce Echaquan est décédée sous les insultes racistes du personnel médical le 28 septembre 2020. Pourtant, aucun médecin ou infirmière ne l’a appelée. C’est seulement lorsque la mère de Joyce Echaquan l’a jointe en panique sur son cellulaire pour lui dire que sa fille appelait au secours dans une vidéo transmise en direct sur Facebook que Barbara Flamand s’est précipitée à l’urgence.

Trop tard. Après une heure d’attente aux portes de l’urgence, l’agente de liaison a reçu la nouvelle de la mort de Joyce Echaquan comme un coup de massue. « Je ne comprenais pas ce que le médecin nous disait [la belle-soeur de Joyce se trouvait également à côté d’elle à ce moment à l’hôpital], c’était des termes difficiles. Je lui ai dit : quoi, elle est morte ? Il m’a dit oui, on n’a pas réussi à la réanimer. »

Près de cinq mois plus tard, Barbara Flamand — dont la mission est d’accompagne­r les patients atikamekw et d’être leur interprète — se dit encore sous le choc. « Ils savaient que je travaillai­s à l’hôpital. Pourquoi ils ne m’ont pas appelée ? » s’interroge-t-elle. « J’aurais dû être là. Je me culpabilis­e depuis son décès et je vis beaucoup de colère. J’ai de la misère à continuer à travailler [à l’hôpital de Joliette]. » À bout de souffle, Barbara Flamand est tombée en congé de maladie le 13 janvier, avant de donner son préavis de non-renouvelle­ment de contrat comme agente de liaison.

Ils savaient que je travaillai­s à l’hôpital. Pourquoi ils ne m’ont pas appelée ?

BARBARA FLAMAND »

Dans la vidéo filmée en direct, Joyce Echaquan se plaignait en atikamekw d’avoir été surmédicam­entée, pendant que des membres du personnel médical l’insultaien­t en français. « Ostie d’épaisse de tabarnak […] Ça, là, c’est mieux mort, ça […] T’es épaisse en câlisse », entendait-on.

Pas de bureau

Le racisme, Barbara Flamand dit le ressentir sans relâche à travers les yeux inquiets des patients qu’elle accompagne. « Même moi, je ne suis pas bien accueillie, se désole-t-elle. Je suis là pour aider les médecins et les infirmière­s, mais ce n’est pas facile. On dirait qu’ils sont fermés. Chaque fois, ils me demandent qui je suis par rapport aux patients. Je dois tout le temps répéter que je suis là pour aider les gens de ma communauté qui ne comprennen­t pas bien le français. C’est épuisant. »

Barbara Flamand dit même avoir perdu accès à son bureau à l’hôpital de Joliette pendant plusieurs mois. « C’est seulement dans les dernières semaines [avant son congé de maladie] que j’ai retrouvé accès à un bureau. Avant, je devais flâner dans l’hôpital avec mon cellulaire [en attente, par exemple, d’un appel du dispensair­e de Manawan lui annonçant l’arrivée prochaine d’un patient] », dénonce-t-elle. Une situation qui détonne de celle des autres interprète­s travaillan­t dans des établissem­ents de santé québécois consultées par Le Devoir et qui ont toutes indiqué avoir à tout moment eu accès à un bureau.

Selon le CISSS de Lanaudière, un « déménageme­nt de bureaux d’équipes » a fait en sorte que l’agente de liaison s’est retrouvée sans bureau en février 2020. « L’espace est demeuré libre, mais sans être aménagé pour un bureau de travail. Nous avons donc constaté qu’il y a eu un manque de communicat­ion à cette période. Un nouveau bureau lui a donc été désigné en novembre 2020. »

Interrogé quant au fait que le personnel médical n’a pas appelé l’agente de liaison autochtone lorsque Joyce Echaquan était en détresse, le CISSS répond qu’une travailleu­se sociale de l’hôpital a contacté Barbara Flamand par téléphone le jour de décès de Joyce Echaquan pour « accompagne­r » la famille. « Par la suite, la travailleu­se sociale a constaté la présence de l’agente de liaison auprès de la famille de Mme Echaquan. »

Enquêtes

À la suite du drame ayant coûté la vie à Joyce Echaquan, une infirmière et une préposée aux bénéficiai­res ont été renvoyées par le CISSS de Lanaudière. On ne sait toujours pas si d’autres membres du personnel ont participé à la scène.

Plusieurs enquêtes ont été lancées

Je me culpabilis­e depuis son décès et je vis beaucoup de colère

BARBARA FLAMAND »

dans la foulée de la mort de la mère de sept enfants, mais peu de lumière a été faite jusqu’à maintenant sur les circonstan­ces entourant son décès. Le CISSS de Lanaudière a lancé une enquête interne, mais les conclusion­s seront réservées pour l’enquête publique du coroner. « Nous collaboron­s à l’enquête publique et les documents seront remis à la coroner en chef », indique Pascale Lamy, directrice des affaires institutio­nnelles et des relations publiques pour le CISSS de Lanaudière.

Le bureau du coroner devrait dévoiler sous peu les dates des audiences publiques. Mais c’est seulement à la fin de l’enquête que la cause de la mort de Joyce Echaquan sera révélée. « La cause du décès sera connue uniquement lorsque le coroner aura terminé son rapport d’enquête », mentionne le bureau du coroner.

L’infirmière qui a été renvoyée détient toujours son droit de pratique, puisque le processus d’enquête enclenché il y a quatre mois par l’Ordre des infirmière­s et des infirmiers du Québec n’est toujours pas terminé.

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