Les audiences sur le CHSLD Herron sont reportées
Les proches des aînés qui y sont morts vivent difficilement la décision de la coroner
Des familles d’aînés morts au CHSLD Herron le printemps dernier vivent avec douleur le report du moment où elles pourront poser leurs questions. Mardi, la coroner a repoussé « à contrecoeur » jusqu’au mois de septembre ses audiences publiques sur cette tragédie.
« Savoir qu’on doit mettre un BandAid sur ces plaies encore fraîches et les rouvrir en septembre, ce n’est vraiment pas plaisant », dit Nadia Sbaihi, dont le grand-père Rodrigue Quesnel, de qui elle était très proche, est mort l’an dernier après avoir contracté la COVID-19 au CHSLD Herron.
La coroner Géhane Kamel a repoussé les travaux pour des « raisons pratiques » : elle a souligné que l’avocate Nadine Touma, qui représente la propriétaire du CHSLD privé, aurait pu faire appel de sa décision en Cour supérieure si les audiences publiques n’avaient pas été reportées. Une telle éventualité aurait chamboulé l’ensemble du calendrier des audiences publiques des prochaines semaines, qui viseront d’autres CHSLD.
« Mon seul souci ce matin, c’est le respect des familles endeuillées et de la population », a dit la coroner Kamel en ouverture de la séance, visiblement déchirée par la décision qui s’est imposée à elle.
Les 11 jours d’audience prévus sur le CHSLD Herron sont donc reportés au mois de septembre, ce qui pourrait laisser le temps au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de prendre une décision quant au dépôt, ou non, d’accusations dans ce dossier actuellement en analyse. Me Touma avait demandé lundi un report des audiences publiques afin d’éviter une interférence avec un possible procès criminel.
Trouver des réponses
Malgré le revirement de situation de mardi, Mme Sbaihi « respecte le processus » et croit la coroner Géhane Kamel quand elle explique qu’elle n’avait d’autre choix que de reporter les audiences devant commencer cette semaine. « J’ose avoir confiance dans le fait que les audiences auront bien lieu », confie-t-elle.
Moira Davis, la fille d’un résident mort à l’institution de Dorval en avril dernier, craint que si des poursuites criminelles devaient être déclenchées d’ici l’automne dans cette affaire, l’enquête publique tombe carrément à l’eau. Elle fait aussi valoir que les questions des familles dépassent largement le cadre, nécessairement restreint, d’un éventuel procès criminel.
« Mettre ces gens en prison ne ramènerait pas mon père. En fait, ça ne m’importe pas du tout que ces personnes aillent en prison », soutientelle. La Saskatchewanaise désire surtout que les familles des défunts trouvent des réponses. Les audiences publiques prévoyaient d’ailleurs 30 minutes de questions des familles pour chaque témoin entendu.
Si une poursuite pénale devait être déclenchée d’ici septembre, la tenue des audiences publiques est compromise, reconnaît Jennifer Quaid, professeure de l’Université d’Ottawa spécialisée en droit pénal des entreprises.
« Quelles sont les accusations ? Qui est visé ? Est-ce que c’est seulement l’entreprise, est-ce que ce sont des personnes spécifiques ? Tout ça va avoir une influence sur la possibilité, ou même la nécessité, de retarder encore plus certains témoignages, ou d’émettre une ordonnance de non-diffusion », précise Mme Quaid.
Ces détails juridiques rendent encore plus difficile le deuil de Nadia Sbaihi, qui préfère que le cas du CHSLD Herron — un « symbole national », dit-elle — serve avant tout à établir des recommandations pour éviter la reproduction d’un tel drame. Elle n’est pas indifférente à une éventuelle procédure pénale, mais n’en fait pas une priorité.
« C’est extrêmement dommage du point de vue des familles », dit Patrick Martin-Ménard, qui représente les proches de trois résidents décédés. Il souligne que les audiences publiques sur Herron devaient être le premier forum de discussion publique sur les décès causés par la pandémie dans les maisons de soins de longue durée du Québec.
En plus de Herron, des enquêtes publiques de la coroner Kamel s’intéresseront au CHSLD des Moulins de Terrebonne, au Manoir Liverpool de Lévis, au CHSLD René-Lévesque de Longueuil et aux CHSLD Laflèche de Shawinigan, Sainte-Dorothée de Laval et Yvon-Brunet de Montréal. Un « volet national » doit également avoir lieu l’automne prochain. Le rapport final n’est pas attendu avant 2022.