Encore une ombre au tableau
La dernière plateforme électorale des libéraux fédéraux était claire. Un gouvernement libéral interdirait « toutes les armes d’assaut de style militaire » et cette importante politique serait assortie de moyens musclés, dont un programme de rachat de « toutes » les armes en question.
En mai dernier, le gouvernement Trudeau passait aux actes. Au moyen d’un décret, il interdisait plus de 1500 armes de type d’assaut et leurs variantes. Les propriétaires légaux de ces armes se voyaient accorder une amnistie de deux ans à la fin de laquelle, croyait-on, ils devraient s’en défaire avec la mise en oeuvre de la seconde promesse.
On a su mardi qu’ils n’y seraient pas obligés puisque le programme de rachat gouvernemental, dont on ignore encore les détails, sera volontaire. Ceux qui refuseront de s’en prévaloir devront toutefois se soumettre à des règles strictes pour conserver leurs biens.
On ne peut nier que le plat de résistance était l’interdiction elle-même. Depuis mai, les armes d’assaut de type militaire ne peuvent qu’être entreposées. Elles ne peuvent plus être utilisées, transportées, vendues, cédées ou léguées en héritage. Dans de telles conditions, il est vrai, comme le disent les libéraux, que bien des propriétaires ne verront plus l’intérêt de les garder et préféreront les céder au gouvernement contre argent sonnant.
Mais ils n’y seront pas forcés. Pour justifier ce pas de côté, le gouvernement invoque la difficulté de faire respecter cette obligation sans savoir combien de ces armes sont actuellement en circulation. Les règles auxquelles devront se soumettre les propriétaires vont permettre de dresser un portrait plus juste, dit-on. Et après ? Ces armes seront toujours dans la collectivité si on ne bouge pas. On ne peut pas s’en remettre au passage du temps. Il faudra bien, à un moment donné, envisager un programme de rachat obligatoire pour les éliminer du paysage.
La promesse de rachat de « toutes » ces armes interdites était un élément central du plan libéral en 2019, un plan qu’ont vanté des groupes, comme PolySeSouvient, et que Justin Trudeau se plaisait à citer pour mousser sa plateforme. Cet engagement était nettement plus important que celui que tient à respecter Justin Trudeau, celui de s’en remettre aux villes pour limiter ou interdire la vente, le transport et l’entreposage des armes de poing sur leur territoire.
Un bel écran de fumée ! Lors d’une séance d’information sur le projet de loi présenté mardi, les hauts fonctionnaires ont reconnu qu’il revenait aux provinces de définir la portée des pouvoirs des villes. Si les gouvernements provinciaux s’opposent, comme celui de l’Ontarien Doug Ford, à ce que les villes règlementent les armes à feu, Ottawa n’y pourra rien.
Et du côté des villes, bien peu sont intéressées. À quoi peut servir d’interdire la vente de ces armes dans une ville si la municipalité voisine ne le fait pas ? L’expérience américaine a démontré l’inefficacité de la chose et l’idée est décriée, tant par les partisans que les opposants d’un resserrement du contrôle des armes à feu.
À la suite du meurtre de la jeune Meriem Boundaoui à Saint-Léonard et de la hausse des crimes violents dans la métropole, la mairesse Valérie Plante a exigé, comme bien d’autres maires, qu’Ottawa assume plutôt ses responsabilités en adoptant des règles uniformes pour tout le pays.
Ce qui ne réglera pas tout, loin de là. Le trafic est la principale source d’approvisionnement en armes des gangs criminels. Montréal a d’ailleurs fait de la lutte contre ce fléau une priorité et créé une escouade permanente à cet effet. Ottawa, de son côté, propose de durcir les peines d’emprisonnement et de fermer certaines échappatoires qui persistaient dans le Code criminel. Il entend aussi donner plus de pouvoir à la GRC et aux services frontaliers.
Les libéraux ne sont pas restés les bras croisés, mais comme dans le cas de l’environnement, ils portent ombrage à leur audace — interdire les armes d’assaut en demandait — en n’allant pas au bout de leurs promesses, en particulier celles ayant semé le plus d’attentes.
Depuis 30 ans, les proches des victimes de la tuerie de Polytechnique se battent pour le retrait rapide de la circulation des armes d’assaut. Ils espéraient bien être près du but. Pour leur part, les fusillades qui se multiplient à Toronto, à Ottawa et à Montréal ravivent chaque fois les appels en faveur de règles plus fermes pour les armes de poing.
Le contrôle des armes à feu a longtemps été un enjeu piégé pour les libéraux. Ils ont payé cher la mise en place du registre des armes d’épaule, un projet mal vendu auprès des premiers touchés, dont les chasseurs, les trappeurs et les agriculteurs. Le péril électoral n’est cependant plus le même. Un parti prêt à défendre la propriété d’armes d’assaut et de poing ne se ferait pas beaucoup d’amis.