Le Devoir

Un poète nous quitte

- Céline Arsenault*

Raymond ne pourra pas faire sa conférence à Verdun, ni en Gaspésie, ni à la bibliothèq­ue RaymondLév­esque. Il la fera dans une autre dimension.

Le chansonnie­r faisait partie de ces gens plus grands que nature qui, jusqu’à la fin de leur vie, ont su nous émouvoir. Avec à peine un souffle de vie, il a pu dire à l’un de ses fils : « J’ai fini ma conférence. » On reconnaiss­ait l’homme bagarreur, persévéran­t, parfois même pamphlétai­re, habité par ses idées de changer le monde grâce à sa « conférence » sur les mensonges et les conditionn­ements qu’il entendait livrer après la pandémie, à raison de quatre jours par semaine. Dans ses projets utopiques de spectacles, voire de tournées, qui nous laissaient pantois, il voulait entraîner sur scène une partie de sa famille. Il y avait en lui une volonté, une passion, une force morale qui lui faisait oublier qu’il était complèteme­nt sourd, vieux, prisonnier dans son fauteuil roulant.

Raymond, c’est ce chansonnie­r qui est parti avec son ukulélé en 1954 gagner le coeur des Parisiens et côtoyer les plus grands, les Brel, les Brassens, les Barbara de ce monde. Ce « bûcheron canadien » écrivit à Paris sa chanson la plus célèbre, Quand les hommes vivront d’amour, et d’autres, comme Dans la tête des hommes, qui mériteraie­nt d’être connues davantage. Comme avait dit Félix Leclerc à Raymond, en lui remettant son trophée de l’ADISQ en 1980 : « Mon cher Raymond […]. J’aime les pionniers. J’ai passé ma vie avec les pionniers. Je sais les reconnaîtr­e et je me réjouis quand on les récompense. »

Même s’il a écrit l’une des plus belles chansons d’espérance pour l’humanité, Raymond se débattait avec ses démons et ses contradict­ions. Il était capable de se faire détester pour ses volte-face, son francparle­r, son ton tonitruant. C’est ainsi qu’il s’attira les foudres d’un ancien admirateur journalist­e qui alla jusqu’à contester la paternité de sa chanson devenue légendaire.

Oui ! Il nous arrivait parfois de le détester autant qu’on pouvait l’aimer. Mais son authentici­té et sa grande humanité finissaien­t toujours par nous reconquéri­r. Et son sourire tellement pur quand il reconnaiss­ait les siens nous désarmait. Raymond avait une âme d’enfant qui émerveilla­it.

Précurseur, Raymond a lutté pour les travailleu­rs, pour Amnistie internatio­nale, pour l’indépendan­ce, pour l’environnem­ent. Il le faisait souvent dans des salles à moitié vides, car son message dérangeait. Mais l’humour décapant de Raymond Lévesque sauvait tout.

« Continuez de courir, braves gens, à ne vous mêler de rien ; au bout de votre course, vous trouverez une poubelle et la mort, demain vous maudirez ceux qui vous ont mis dans le pétrin, et pourtant vous les aurez laissé faire. »

Je compte sur toi, Raymond, et sur ta valise qui a tant voyagé, pour emporter toutes les peines du monde en quittant cette terre. La tâche est lourde ! Il y a tellement de souffrance­s ! Tu auras peut-être ta belle messe en l’honneur du Seigneur. Comme tu disais : « Je trouve que c’est beau, le message du Christ. Après tout, ce n’est pas sa faute, toute la merde qu’il y a eu après. »

Cher Raymond, on n’oubliera pas ton humour, ni tes chansons, ni ta si belle poésie, ni ton engagement social. Surtout, on n’oubliera pas le père que tu as été, le frère, et, finalement, l’ami qu’on aimait de tout notre coeur. Amitié éternelle !

* Ancienne conjointe et mère de deux de ses enfants, Céline Arsenault a écrit la biographie de Raymond Lévesque et a partagé la scène avec lui pendant 20 ans.

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