Un meilleur accompagnement réclamé pour les Autochtones
Des voix s’élèvent pour que le service d’interprètes épaulant les patients des Premières Nations dans des établissements de santé soit moins « disparate » et plus étendu
Le drame entourant la mort de Joyce Echaquan a mis en lumière le racisme dont sont victimes les Autochtones dans le système de santé, mais aussi la nécessité de fournir un accompagnement aux membres des Premières Nations lors de la prestation de soins de santé. Plusieurs interprètes travaillent déjà à cet égard dans des hôpitaux au Québec, mais dans la plupart des établissements, le service d’interprétariat n’est offert que pendant les heures normales de travail, les jours de semaine.
« C’est sûr que c’est un besoin [d’offrir le service 24 heures sur 24 et 7 jours par semaine] », précise Maya Riverin, interprète pour les Innus de Pessamit à l’hôpital de Baie-Comeau sur la Côte-Nord.
« On ne choisit pas quand on fait un infarctus, illustre à son tour Jennifer Petiquay-Dufresne, agente de liaison autochtone au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. On ne peut pas se dire qu’on va le faire lundi à 9 h quand l’interprète est là. »
Sur la Côte-Nord, 15 % de la population est autochtone. Deux interprètes — dont Maya Riverin — travaillent à l’hôpital de Baie-Comeau, une troisième interprète se trouve à l’hôpital de Sept-Îles et une quatrième travaille à l’hôpital de Havre-Saint-Pierre.
« Parfois, ce sont les médecins qui nous appellent pour nous dire qu’ils ont un patient aîné qui ne comprend pas le français, d’autres fois on accompagne et on dirige les patients autochtones pour être sûr que tout se passe bien », explique Maya Riverin.
« Plusieurs patients me demandent de les accompagner, mais pas nécessairement pour être interprète, juste pour être avec elles en les sécurisant », ajoute Martia Petiquay, interprète accompagnatrice à l’hôpital de La Tuque, en Mauricie. « Et en tant que personne autochtone, on est capable de percevoir le non-verbal des patients pour dire : est-ce que tu as bien compris [ce que les médecins et les infirmières disent] ? La personne se sent plus à l’aise pour dire non. »
À la suite du drame ayant mené au décès de Joyce Echaquan, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a annoncé le 6 novembre l’embauche prochaine de « navigateurs de services », recrutés parmi les Premières Nations, pour faciliter le parcours des Autochtones dans les établissements de santé. Depuis, aucun détail n’a filtré sur le moment de leur entrée en fonction ou encore sur le nombre de navigateurs qui seront embauchés.
Pour Constant Awashish, grand chef du Conseil de la nation atikamekw, il y a nécessité d’offrir une plus grande uniformité dans les services d’interprétariat et d’accompagnement. « C’est un service qui est disparate d’un hôpital à l’autre », souligne-t-il.
Parallèlement, plusieurs voix s’élèvent pour réclamer des écriteaux en langues autochtones dans les établissements de santé fréquentés par les Premières Nations. « Ça serait une très bonne chose », mentionne François Néashit, chef du conseil des Atikamekw de Wemotaci, qui se dit néanmoins satisfait des services offerts à l’hôpital de La Tuque.
Portes d’entrée et de sortie
Dans les dernières années au Québec, un effort a également été consenti pour embaucher des agents de liaison autochtones afin d’améliorer l’expérience des Premières Nations dans les soins de santé. Sans être parfait, l’arrimage avec les besoins des populations autochtones s’en trouve facilité, soutient Jennifer Petiquay-Dufresne du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centredu-Québec. « Les quatre communautés autochtones du territoire n’ont qu’une seule personne à contacter [pour communiquer leurs besoins] et je fais ensuite les démarches vers les directions cliniques », explique-t-elle.
Dale Walker, conseiller-cadre à la liaison autochtone et la culture organisationnelle au CISSS de la Côte-Nord, dit de son côté s’assurer d’être autant la « porte d’entrée » vers les services de santé, en aidant par exemple les Autochtones à prendre leurs rendez-vous, que la « porte de sortie », en mettant notamment en place un filet de sécurité autour des personnes retournant chez elles en maintien à domicile, vu que les services sont limités sur les territoires des communautés.
« Le plan de match à terme, c’est d’avoir un comité opérationnel formé uniquement de gens des Premières Nations et de travailleurs de la santé autochtones pour nous dire ce qui serait prioritaire pour eux : quand ils viennent dans nos installations, de quoi ont-ils besoin en priorité ? »
Virage ontarien
En Ontario, l’hôpital de Thunder Bay et celui de Sioux Lookout, Meno Ya Win, ont entamé un virage vers des soins de santé culturellement sécurisants il y a plusieurs années.
Cinq navigateurs sont déjà employés par l’hôpital de Thunder Bay, où le quart des patients sont autochtones. En plus des navigateurs, l’établissement a réussi à convaincre le ministère de la Santé ontarien de recruter quatre professionnels de la santé « qui deviendront des agents de liaison pour faciliter les transferts et les admissions entre les communautés et l’hôpital, puis les retours dans la communauté », explique Jean Bartkowiak, président-directeur général de l’hôpital de 2016 à 2020.
Ces gestionnaires de cas veilleront ainsi à « éduquer les professionnels de la santé sur ce qui attend les patients autochtones dans leur communauté une fois qu’ils quittent l’hôpital », détaille l’ancien p.-d.g. Une réalité qui est bien différente de celle des patients allochtones, mais qui est souvent méconnue.
De plus, du point de vue administratif, une division consacrée aux relations avec les Autochtones a été créée, avec une directrice principale à sa tête. Et un chef autochtone a été recruté pour siéger au conseil d’administration de l’hôpital. « C’est un enjeu important de donner une voix aux communautés autochtones au niveau de la gouvernance », souligne Jean Bartkowiak.
À environ quatre heures de route au nord-ouest de Thunder Bay, l’hôpital Meno Ya Win de Sioux Lookout s’occupe de patients qui sont à 85 % autochtones. « Au début des années 1990, un premier comité sur le racisme a été créé. On a pu commencer le travail avec des années, sinon des décennies d’avance sur d’autres institutions », souligne David Murray, président-directeur général de l’établissement de 2010 à 2017.
Treize traducteurs de la nation anichinabée travaillent à l’hôpital, qui comprend 60 lits. « Les patients peuvent faire appel au service de traduction 24 heures sur 24, 7 jours par semaine », souligne M. Murray.
Le conseil d’administration de l’établissement est formé aux deux tiers par des membres de la nation anichinabée et un conseil des aînés est consulté deux fois par an. De plus, une formation de quatre jours en sécurisation culturelle est suivie par l’ensemble du personnel de l’hôpital. Et l’hôpital de Sioux Lookout est le seul hôpital ontarien ayant obtenu les exemptions nécessaires pour servir de la nourriture traditionnelle à ses patients.
« On a mis beaucoup d’argent et de ressources pour développer un autre modèle et je crois qu’on a pu démontrer le succès de cette approche, observe David Murray. Ce n’est pas encore parfait, mais ça prend du temps pour corriger la mauvaise approche adoptée pendant des décennies. »