Le Devoir

Québec veut l’aide du privé

Plusieurs ententes sont sur le point d’être signées avec des cliniques de radiologie afin de réduire la pression sur les listes d’attente

- ISABELLE PARÉ

Pour s’attaquer aux listes d’attente gonflées par les délestages, Québec est sur le point de confier à des cliniques de radiologie privées le mandat de réaliser des milliers de scans et d’imagerie par résonance magnétique (IRM).

Ces ententes de services, qui toucheraie­nt six ou sept CISSS et CIUSSS du Québec, s’inspirent directemen­t de celles qui ont été conclues ces derniers mois avec des cliniques de chirurgies privées pour minimiser les répercussi­ons sur les patients du délestage effectué dans le réseau de la santé pendant la pandémie.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a confirmé au Devoir que certains établissem­ents étaient autorisés à aller de l’avant pour faire tandem avec des laboratoir­es d’imagerie médicale (LIME), « compte tenu de leur situation spécifique. » Les négociatio­ns sur les tarifs n’étant pas encore scellées, le MSSS a refusé de dévoiler le nombre et les noms des établissem­ents concernés.

Chose certaine, depuis novembre, plusieurs CISSS et CIUSSS pressent le MSSS de leur donner le feu vert pour éviter

Il faut accélérer la prise de décisions thérapeuti­ques JEAN-MARTIN BAILLARGEO­N

une dégradatio­n de la situation liée aux attentes indues vécues par de nombreux patients pour passer un test d’imagerie.

Selon de nombreux médecins, l’accès réduit aux plateaux techniques d’imagerie dans les hôpitaux continue d’affecter leur capacité à établir des diagnostic­s, à prescrire des traitement­s ou à effectuer des suivis.

« Pour que les chirurgien­s et les oncologues puissent traiter leurs patients ou voir si leur santé se détériore, ils ont besoin d’imagerie. Il faut accélérer la prise de décisions thérapeuti­ques », affirme le Dr Jean-Martin Baillargeo­n, radiologue au CHUM et directeur de la clinique de radiologie Varad au centre-ville de Montréal. Selon ce radiologue, le nombre de patients en attente de scan

et d’IRM considérés « hors délai » a doublé au CHUM depuis le début de la pandémie. Une situation que confirme le Dr Vincent Oliva, radiologue d’interventi­on au CHUM, dont la spécialité consiste notamment à utiliser l’imagerie pour traiter des tumeurs et soigner des artères obstruées. « Il y a des dommages collatérau­x pour tous ces patients dont le diagnostic ou le suivi par imagerie médicale a été mis sur pause, non seulement en oncologie, mais pour bien d’autres maladies », dit-il.

« J’ai vu des patients qui ont un cancer du foie et dont le staging [stade] a changé. On présume que leur pronostic va se détériorer. On voit aussi des anévrismes chez des patients, qui sont à risque de rupture. Ceux chez qui on décèle un rétrécisse­ment des artères, on a parfois du mal à faire les rentrer pour poser un stent [endoprothè­se] », déplore le Dr Oliva.

Selon ce dernier, les délais pour passer un scan ou une IRM auraient doublé dans la plupart des régions du Québec et triplé dans plusieurs grands hôpitaux de la métropole.

Plus que le délestage, l’épuisement et la pénurie de technologu­es en radiologie (déplacés pour prêter main-forte en zone COVID), et la lourdeur des procotoles de prévention des infections, ont sérieuseme­nt ralenti la cadence dans les salles d’imagerie. « On le voit, les lésions cancéreuse­s sont plus avancées, plus grosses. C’est le cas aussi pour les maladies cardiaques, où il y a du retard pour le remplaceme­nt de valves. »

Centres sous pression

Au CHUM, la liste d’attente pour obtenir un scan a bondi de 2059 à 5525 patients depuis un an. Celle pour passer une IRM a cependant reculé de 5080 à 4663 entre 2020 et 2021. Le centre universita­ire compte 6 appareils d’IRM et 6 scans, dont 50 % ne fonctionne­nt que 8 heures par jour, faute de personnel. Un est à l’arrêt, en attente d’être remplacé.

Au CUSM, la liste d’attente pour une IRM a bondi de 4807 à 7484 patients entre février 2020 et janvier 2021. Quelque 3644 personnes y sont en attente d’un scan. Elles étaient 2407 le 29 février 2020.

Les deux CHU n’ont toujours pas conclu d’ententes avec des cliniques de radiologie privées, mais le CUSM se dit au courant de la situation et tente de voir si d’autres hôpitaux pourraient l’aider à réduire ses listes d’attente.

Selon le Dr Oliva, le délestage continue de frapper de plein fouet tous les cas « semi-urgents ». « C’est une sorte de grosse zone grise où se sont ramassés bien des patients à risque de se détériorer et qui sont laissés pour compte », pense-t-il. Le président de l’ARQ, dont l’associatio­n n’est pas partie prenante des négociatio­ns amorcées par le MSSS, juge qu’« on en a pour plusieurs années à rattraper ces retards ». Il presse d’adopter un « plan intégré de rattrapage » pour l’ensemble des hôpitaux et d’offrir des conditions gagnantes pour retenir le personnel. « Ce qui s’est fait en chirurgie, ç’a été très bénéfique. Toute contributi­on serait bienvenue, mais il faut faire bien attention de ne pas dépouiller le réseau public. »

Une trentaine de laboratoir­es privés d’imagerie médicale seraient en mesure de réaliser des scans et IRM au Québec.

L’endoscopie, une technique d’investigat­ion interne de divers organes, notamment du colon, des bronches et de l’estomac, est aussi lourdement affectée par la pandémie, soutient la Dre Mélanie Bélanger, présidente de l’Associatio­n des gastro-entérologu­es. Plus de 100 000 personnes sont en attente de coloscopie­s au Québec (destiné à prévenir ou traiter les cancers du côlon), dont la moitié hors délai.

« On n’est toujours pas capables de rattraper. Après huit mois d’attente, les études montrent que les risques de développer un cancer [du colon] doublent. Les délais pour retirer un polype ont aussi doublé. C’est d’une tristesse », déplore la gastro-entérologu­e.

La Dre Bélanger vient de diagnostiq­uer un cancer de l’estomac à une jeune patiente de 41 ans. « On ne peut mettre toute la responsabi­lité sur le délestage, il y a aussi l’effet des patients qui ont eu peur de venir à l’hôpital et d’être contaminés, et qui ont annulé leur rendez-vous. »

Si le retard varie selon les régions, la Dre Bélanger estime qu’il faudra 18 à 24 mois pour combler le retard accumulé. Pour les coloscopie­s, les cliniques privées ne seront d’aucun recours, car toutes celles qui avaient cette expertise ont fermé leurs portes en 2017, après que l’ex-ministre de la Santé Gaétan Barrette leur a interdit l’imposition de frais accessoire­s.

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