Avec les « anges » du 19e sud
Au CHUM, une équipe se démène pour donner la chance aux proches des malades de la COVID-19 de pouvoir leur rendre visite
Appelée à rendre visite à un proche dans la zone chaude du CHUM pendant trois semaines, notre journaliste raconte le quotidien de l’équipe de Soutien et communication avec les familles (SCAF) du CHUM qui a veillé sans relâche depuis le début de la pandémie sur près de 700 visiteurs de patients touchés par la COVID.
Pandémie oblige, le CHUM a pris les allures d’une forteresse. Seules les visites aux patients en fin de vie ou celles de personnes proches aidantes sont actuellement autorisées. Et il faut montrer patte blanche lors de chaque passage minutieusement orchestré par le personnel, tout particulièrement s’il est question de mettre les pieds au 19e sud, l’unité COVID située au dernier étage de l’hôpital où sont placés en isolement les patients atteints du virus, dans des chambres à pression négative.
Alors que de nombreux hôpitaux ont interdit les visites en zone chaude au plus fort de la pandémie, le CHUM a choisi de mettre sur pied le Soutien et communication avec les familles (SCAF), une équipe spécialisée dans le tri et l’accompagnement des familles des patients COVID positifs.
« Au début de la pandémie, on entendait partout que les gens mouraient seuls, c’était épouvantable. J’écoutais les nouvelles à la télévision et je ne pouvais pas croire qu’on allait rester assis à regarder. On voulait aider l’équipe de soins. On est des anciennes du CHUM. Nous, on ne pouvait plus soigner. Mais on était capables de tout faire ça », se rappelle Céline Corbeil, infirmière à la retraite depuis 2012 qui n’a pas hésité à répondre à l’appel du CHUM afin de bâtir un programme de soutien aux familles.
« C’est parti d’une initiative des soins intensifs. Au début, le support aux familles était très téléphonique, mais on a rapidement mis en place les visites », précise Mme Corbeil.
Infirmière-chef responsable du 19e sud, Martine Dion voit cette initiative comme un véritablement soulagement pour le personnel soignant.
« Au début, il n’y avait pas du tout de visiteurs. Au cours de la première vague, les infirmières ont trouvé ça excessivement difficile, parce que les patients mouraient seuls. Elles ne pouvaient même pas s’approcher pendant que le patient était en train de décéder. Ç’a été très très difficile. Quand l’équipe du SCAF est arrivée, les infirmières se sont senties libérées de ce poids-là », confie l’infirmièrechef de l’unité COVID.
Je n’ai pas de mots pour décrire l’humanité de ces gens-là RENÉE CHAPLEAU »
Chaque matin, les accompagnantes aux familles prennent le pouls de l’unité avant de planifier leurs rencontres de la journée. Le personnel soignant leur fait alors leurs recommandations, selon l’état de santé des patients : les familles des personnes dont la vie est en danger passent en priorité, tout comme celles dont les visites auraient un bénéfice thérapeutique. « Il y a des patients qui étaient déprimés, qui étaient fatigués, qui se laissaient aller. Le fait qu’il y ait des visites de leur famille, de leur entourage, on savait que ça leur faisait du bien. Le lendemain, on voyait leur condition s’améliorer, ça allait de mieux en mieux », explique l’infirmière-chef Martine Dion.
« On offre des visites pour les personnes en fin de vie, ou aussi les personnes âgées ou qui ont des déficits cognitifs, qui ne comprennent pas toujours ce qui se passe. C’est certain qu’un trentenaire qui va assez bien et qui peut faire ses Facetime n’aura pas de visites pour le plaisir. On veut avoir un but thérapeutique », rappelle quant à elle Céline Corbeil, dont l’équipe s’occupe aussi de coordonner les appels des familles.
Une des missions les plus importantes de l’équipe d’accompagnement aux familles est de s’assurer de protéger autant les proches en visite en zone chaude que le personnel soignant. Le programme a d’ailleurs été mis sur pied avec de nombreux experts, mais principalement avec la prévention et le contrôle des infections.
« On a trouvé une façon de faire qui est sécuritaire. On a fait des études làdessus. Aucun visiteur ni membre de mon équipe n’ont été contaminés depuis le début de la pandémie. Ça fonctionne », mentionne Céline Corbeil. « Mais le risque zéro à une visite, c’est impossible », lance-t-elle pragmatique. « Le triage, c’est le nerf de la guerre : il faut s’assurer que la personne qui entre ici n’est pas positive. On n’est pas forcément toujours à deux mètres quand on aide les familles à s’habiller », lance-t-elle.
La durée des visites varie de 15 à 30 minutes : si le patient a de l’oxygène, le temps de visite est réduit et il est nécessaire de porter le matériel complet de protection, y compris le N95, la jaquette, les gants et la visière pour garantir le moins d’exposition à la COVID possible, le tout sous le regard bienveillant des accompagnatrices qui se chargent d’habiller et de déshabiller minutieusement les visiteurs.
« On n’est pas dans la pièce parce que les gens ne collaborent pas, mais parce qu’ils ont des gestes réflexes. Je ne suis pas là pour écouter. On veut offrir un bon service, mais j’ai aussi la responsabilité de ne pas contaminer le personnel. Si on laisse aller, on laisse faire, on ferme les yeux, d’autres personnes devront être soignées », précise Mme Corbeil.
Des visites chargées en émotion
Bénévole aux soins palliatifs et à l’unité des grands brûlés, Marine Boisset a naturellement choisi d’accompagner les familles de l’unité COVID, acceptant ainsi d’entrer régulièrement en zone chaude.
« Ce sont des moments très forts parce qu’on rentre dans l’intimité malgré nous. On partage, on soutient, on est là dans la bienveillance. C’est magnifique parce que c’est vraiment dans le moment présent. C’est d’une telle intensité dans la beauté de ce qu’on peut apporter en soutien. C’est beau, parce que grâce à notre travail on donne la possibilité à la personne de dire au revoir correctement pour faire son deuil », estime-t-elle.
Le Devoir s’est entretenu avec deux familles ayant bénéficié de l’accompagnement de l’équipe du CHUM. Diane StOnge
a perdu sa mère et Renée Chapleau son conjoint en décembre dernier. Toutes deux ne tarissent pas d’éloges au sujet des « anges » qui les ont soutenues jusqu’au dernier souffle de leurs proches.
Lors du transfert de sa mère de 94 ans à l’unité COVID du CHUM, Mme StOnge a été surprise d’avoir l’autorisation de lui rendre visite tous les jours.
« Avec le trio de mes anges, Marion [Sasias], Céline [Corbeil] et Marine [Boisset], j’ai même pu organiser la visite de mes frères et soeurs qui vivent assez loin », se rappelle Mme St-Onge. Appelée en urgence au petit matin, elle aura la possibilité d’accompagner sa mère jusqu’à son décès.
« J’allais 30 minutes, je ressortais une demi-heure et ainsi de suite. J’ai pu l’accompagner jusqu’à son dernier souffle. La dernière fois que je suis rentrée dans la chambre, Marine m’a touché l’épaule pour me signifier que le temps était écoulé, mais je savais que maman s’en allait. Je n’ai pas réagi à son geste. Elle s’est rassise, elle avait compris que j’avais besoin de lui parler. Marine ne s’est même pas aperçue que ma mère était partie, tellement ça s’est fait en douceur », raconte Mme St-Onge. « Quand je suis arrivée le dernier jour, elle était en détresse respiratoire, elle était anxieuse. Le fait que je puisse rester avec elle pour la calmer, ça lui a permis de partir sereinement », ajoute-t-elle.
Renée Chapleau est en quarantaine quand son conjoint est admis à l’unité COVID du CHUM au début du mois de décembre. Alors que son état se détériore, elle est encore en attente du résultat de son test de dépistage qui lui permettra de venir à son chevet.
« Leur accompagnement va bien audelà de nous habiller et de nous accompagner dans la chambre. Mme Corbeil a été une aide très précieuse. Quand j’ai eu mon résultat négatif, elle était en congé, mais elle est allée me rejoindre un samedi pour me faire entrer », se rappelle Mme Chapleau qui a également pu compter sur le soutien de l’équipe pour accompagner le fils de son conjoint domicilié en Norvège dans ses démarches pour arriver à temps au chevet de son père.
« Je n’ai pas de mots pour décrire l’humanité de ces gens-là. C’est un privilège d’avoir été accompagné par ces femmes », conclut Renée Chapleau.