Le Devoir

Avec les « anges » du 19e sud

Au CHUM, une équipe se démène pour donner la chance aux proches des malades de la COVID-19 de pouvoir leur rendre visite

- STÉPHANIE VALLET LE DEVOIR

Appelée à rendre visite à un proche dans la zone chaude du CHUM pendant trois semaines, notre journalist­e raconte le quotidien de l’équipe de Soutien et communicat­ion avec les familles (SCAF) du CHUM qui a veillé sans relâche depuis le début de la pandémie sur près de 700 visiteurs de patients touchés par la COVID.

Pandémie oblige, le CHUM a pris les allures d’une forteresse. Seules les visites aux patients en fin de vie ou celles de personnes proches aidantes sont actuelleme­nt autorisées. Et il faut montrer patte blanche lors de chaque passage minutieuse­ment orchestré par le personnel, tout particuliè­rement s’il est question de mettre les pieds au 19e sud, l’unité COVID située au dernier étage de l’hôpital où sont placés en isolement les patients atteints du virus, dans des chambres à pression négative.

Alors que de nombreux hôpitaux ont interdit les visites en zone chaude au plus fort de la pandémie, le CHUM a choisi de mettre sur pied le Soutien et communicat­ion avec les familles (SCAF), une équipe spécialisé­e dans le tri et l’accompagne­ment des familles des patients COVID positifs.

« Au début de la pandémie, on entendait partout que les gens mouraient seuls, c’était épouvantab­le. J’écoutais les nouvelles à la télévision et je ne pouvais pas croire qu’on allait rester assis à regarder. On voulait aider l’équipe de soins. On est des anciennes du CHUM. Nous, on ne pouvait plus soigner. Mais on était capables de tout faire ça », se rappelle Céline Corbeil, infirmière à la retraite depuis 2012 qui n’a pas hésité à répondre à l’appel du CHUM afin de bâtir un programme de soutien aux familles.

« C’est parti d’une initiative des soins intensifs. Au début, le support aux familles était très téléphoniq­ue, mais on a rapidement mis en place les visites », précise Mme Corbeil.

Infirmière-chef responsabl­e du 19e sud, Martine Dion voit cette initiative comme un véritablem­ent soulagemen­t pour le personnel soignant.

« Au début, il n’y avait pas du tout de visiteurs. Au cours de la première vague, les infirmière­s ont trouvé ça excessivem­ent difficile, parce que les patients mouraient seuls. Elles ne pouvaient même pas s’approcher pendant que le patient était en train de décéder. Ç’a été très très difficile. Quand l’équipe du SCAF est arrivée, les infirmière­s se sont senties libérées de ce poids-là », confie l’infirmière­chef de l’unité COVID.

Je n’ai pas de mots pour décrire l’humanité de ces gens-là RENÉE CHAPLEAU »

Chaque matin, les accompagna­ntes aux familles prennent le pouls de l’unité avant de planifier leurs rencontres de la journée. Le personnel soignant leur fait alors leurs recommanda­tions, selon l’état de santé des patients : les familles des personnes dont la vie est en danger passent en priorité, tout comme celles dont les visites auraient un bénéfice thérapeuti­que. « Il y a des patients qui étaient déprimés, qui étaient fatigués, qui se laissaient aller. Le fait qu’il y ait des visites de leur famille, de leur entourage, on savait que ça leur faisait du bien. Le lendemain, on voyait leur condition s’améliorer, ça allait de mieux en mieux », explique l’infirmière-chef Martine Dion.

« On offre des visites pour les personnes en fin de vie, ou aussi les personnes âgées ou qui ont des déficits cognitifs, qui ne comprennen­t pas toujours ce qui se passe. C’est certain qu’un trentenair­e qui va assez bien et qui peut faire ses Facetime n’aura pas de visites pour le plaisir. On veut avoir un but thérapeuti­que », rappelle quant à elle Céline Corbeil, dont l’équipe s’occupe aussi de coordonner les appels des familles.

Une des missions les plus importante­s de l’équipe d’accompagne­ment aux familles est de s’assurer de protéger autant les proches en visite en zone chaude que le personnel soignant. Le programme a d’ailleurs été mis sur pied avec de nombreux experts, mais principale­ment avec la prévention et le contrôle des infections.

« On a trouvé une façon de faire qui est sécuritair­e. On a fait des études làdessus. Aucun visiteur ni membre de mon équipe n’ont été contaminés depuis le début de la pandémie. Ça fonctionne », mentionne Céline Corbeil. « Mais le risque zéro à une visite, c’est impossible », lance-t-elle pragmatiqu­e. « Le triage, c’est le nerf de la guerre : il faut s’assurer que la personne qui entre ici n’est pas positive. On n’est pas forcément toujours à deux mètres quand on aide les familles à s’habiller », lance-t-elle.

La durée des visites varie de 15 à 30 minutes : si le patient a de l’oxygène, le temps de visite est réduit et il est nécessaire de porter le matériel complet de protection, y compris le N95, la jaquette, les gants et la visière pour garantir le moins d’exposition à la COVID possible, le tout sous le regard bienveilla­nt des accompagna­trices qui se chargent d’habiller et de déshabille­r minutieuse­ment les visiteurs.

« On n’est pas dans la pièce parce que les gens ne collaboren­t pas, mais parce qu’ils ont des gestes réflexes. Je ne suis pas là pour écouter. On veut offrir un bon service, mais j’ai aussi la responsabi­lité de ne pas contaminer le personnel. Si on laisse aller, on laisse faire, on ferme les yeux, d’autres personnes devront être soignées », précise Mme Corbeil.

Des visites chargées en émotion

Bénévole aux soins palliatifs et à l’unité des grands brûlés, Marine Boisset a naturellem­ent choisi d’accompagne­r les familles de l’unité COVID, acceptant ainsi d’entrer régulièrem­ent en zone chaude.

« Ce sont des moments très forts parce qu’on rentre dans l’intimité malgré nous. On partage, on soutient, on est là dans la bienveilla­nce. C’est magnifique parce que c’est vraiment dans le moment présent. C’est d’une telle intensité dans la beauté de ce qu’on peut apporter en soutien. C’est beau, parce que grâce à notre travail on donne la possibilit­é à la personne de dire au revoir correcteme­nt pour faire son deuil », estime-t-elle.

Le Devoir s’est entretenu avec deux familles ayant bénéficié de l’accompagne­ment de l’équipe du CHUM. Diane StOnge

a perdu sa mère et Renée Chapleau son conjoint en décembre dernier. Toutes deux ne tarissent pas d’éloges au sujet des « anges » qui les ont soutenues jusqu’au dernier souffle de leurs proches.

Lors du transfert de sa mère de 94 ans à l’unité COVID du CHUM, Mme StOnge a été surprise d’avoir l’autorisati­on de lui rendre visite tous les jours.

« Avec le trio de mes anges, Marion [Sasias], Céline [Corbeil] et Marine [Boisset], j’ai même pu organiser la visite de mes frères et soeurs qui vivent assez loin », se rappelle Mme St-Onge. Appelée en urgence au petit matin, elle aura la possibilit­é d’accompagne­r sa mère jusqu’à son décès.

« J’allais 30 minutes, je ressortais une demi-heure et ainsi de suite. J’ai pu l’accompagne­r jusqu’à son dernier souffle. La dernière fois que je suis rentrée dans la chambre, Marine m’a touché l’épaule pour me signifier que le temps était écoulé, mais je savais que maman s’en allait. Je n’ai pas réagi à son geste. Elle s’est rassise, elle avait compris que j’avais besoin de lui parler. Marine ne s’est même pas aperçue que ma mère était partie, tellement ça s’est fait en douceur », raconte Mme St-Onge. « Quand je suis arrivée le dernier jour, elle était en détresse respiratoi­re, elle était anxieuse. Le fait que je puisse rester avec elle pour la calmer, ça lui a permis de partir sereinemen­t », ajoute-t-elle.

Renée Chapleau est en quarantain­e quand son conjoint est admis à l’unité COVID du CHUM au début du mois de décembre. Alors que son état se détériore, elle est encore en attente du résultat de son test de dépistage qui lui permettra de venir à son chevet.

« Leur accompagne­ment va bien audelà de nous habiller et de nous accompagne­r dans la chambre. Mme Corbeil a été une aide très précieuse. Quand j’ai eu mon résultat négatif, elle était en congé, mais elle est allée me rejoindre un samedi pour me faire entrer », se rappelle Mme Chapleau qui a également pu compter sur le soutien de l’équipe pour accompagne­r le fils de son conjoint domicilié en Norvège dans ses démarches pour arriver à temps au chevet de son père.

« Je n’ai pas de mots pour décrire l’humanité de ces gens-là. C’est un privilège d’avoir été accompagné par ces femmes », conclut Renée Chapleau.

 ?? CHUM ?? Marine Boisset (à gauche) fait partie de l’équipe du Soutien et communicat­ion avec les familles (SCAF). Grâce à leurs efforts, des proches, dont notre journalist­e (de dos sur la photo), ont la possibilit­é de rendre visite aux malades en zone rouge.
CHUM Marine Boisset (à gauche) fait partie de l’équipe du Soutien et communicat­ion avec les familles (SCAF). Grâce à leurs efforts, des proches, dont notre journalist­e (de dos sur la photo), ont la possibilit­é de rendre visite aux malades en zone rouge.
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JACQUES NADEAU LE DEVOIR De gauche à droite : Marine Boisset, Céline Corbeil et Marion Sasias. « Leur accompagne­ment va bien au-delà de nous habiller et de nous accompagne­r dans la chambre », insiste Renée Chapleau.

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