Le Devoir

Le Canada à la traîne dans la course

D’autres pays comme Israël, le Royaume-Uni et les États-Unis ont une longueur d’avance

- PAULINE GRAVEL

Le Canada fait piètre figure en matière de vaccinatio­n de sa population quand on le compare à d’autres pays comme Israël, le Royaume-Uni et les ÉtatsUnis. Qui plus est, la plupart des pays européens ont eux aussi mieux progressé dans l’immunisati­on de leur population que le Canada, qui est pourtant le pays qui a conclu le plus grand nombre d’ententes avec des fabricants de vaccins, des ententes qui permettron­t à terme de répondre à 500 % des besoins de notre population.

L’avance spectacula­ire d’Israël, qui a administré au moins une première dose du vaccin de Pfizer à 47 % de sa population de neuf millions d’habitants — dont 31 % ont reçu les deux doses prescrites par le protocole —, s’explique par le fait que cette nation a conclu un accord avec la compagnie Pfizer. En échange d’un stock de vaccins permettant de vacciner toute sa population, Israël a accepté de partager avec l’entreprise les données médicales et épidémiolo­giques de ses citoyens, afin que soit menée une étude plus étendue sur l’efficacité du vaccin et de ses effets secondaire­s. C’est justement grâce à ces données qu’on a pu annoncer cette semaine que le vaccin permettrai­t une réduction de 94 % du taux d’infection symptomati­que et une baisse de 92 % du taux de maladie grave.

Le Royaume-Uni a été l’un des premiers pays à autoriser le vaccin de

Pfizer et à commencer sa campagne de vaccinatio­n avec ce dernier, ainsi qu’avec celui conçu sur son territoire, àl’ u ni versit éd’ Oxford, en collaborat­ion avec lacompagni­eb ri tan nico suédoise AstraZenec­a. Cette petite longueur d’avance lui a permis d’administre­r une première dose à près de 23 % de sa population.

Quant aux États-Unis, ils continuent d’exercer « un nationalis­me vaccinal radical » instauré par le président Donald Trump, qui avait décrété qu’aucun vaccin fabriqué sur le territoire américain ne serait exporté tant que toute la population n’aurait pas été vaccinée, et ce, peu importe les besoins à l’étranger, souligne Marc-André Gagnon, spécialist­e des politiques pharmaceut­iques à l’Université Carleton, à Ottawa.

Certains pays, comme la Hongrie par exemple, qui sont parvenus à vacciner une plus grande proportion de leur population que le Canada ont pour leur part fait appel au vaccin russe Spoutnik V, qui est boudé par la plupart des pays européens et nord-américains.

Un article paru dans The Lancet le 2 février dernier semble pourtant confirmer la bonne efficacité de ce vaccin, qui atteindrai­t près de 92 %. Marc-André Gagnon n’est toutefois pas entièremen­t rassuré par cette publicatio­n, car les données cliniques ne sont pas aussi accessible­s qu’elles devraient l’être. « Les données n’ont pas été déposées sur un site public. On ne peut y avoir accès qu’en communiqua­nt avec les auteurs.

Certains de mes collègues qui voulaient confirmer l’efficacité de ce vaccin ont tenté de les consulter, mais n’y sont pas parvenus. Peut-être que les auteurs sont débordés par les demandes, mais la revue The Lancet aurait dû y penser. Dès la phase 2 des essais cliniques, des interrogat­ions ont été soulevées, et la publicatio­n ne permet pas d’y répondre. Étant donné que l’étude est publiée, elle devrait être bonne, mais il y a encore une petite zone d’ombre qui est pour moi problémati­que », confie-t-il.

Le Brésil administre à sa population le vaccin CoronaVac de la firme chinoise Sinovac, ainsi que celui de la compagnie AstraZenec­a, qui a accordé une licence de production à une compagnie pharmaceut­ique de ce pays d’Amérique du Sud, qui fabrique donc sur son propre territoire le vaccin.

Deux vaccins approuvés

Jusqu’à présent, seuls les vaccins de Pfizer-BioNTech et de Moderna, deux compagnies américaine­s, sont autorisés et administré­s au Canada. Les doses du vaccin de Pfizer nous sont fournies par une usine située en Belgique, tandis que celles du vaccin de Moderna sont produites en Suisse. Comme Pfizer a décidé d’étendre sa capacité de production, l’usine belge a dû ralentir sa chaîne de fabricatio­n le temps d’effectuer les travaux requis, d’où la suspension des livraisons de doses au Canada pendant quelques semaines.

Moderna possède trois usines de production en Europe, mais « celle qui est située en Suisse ne fonctionne pas bien, sa production est bien inférieure à celle qui était prévue », souligne M. Gagnon avant d’ajouter que le problème semble en voie d’être réglé. « Ce contretemp­s pourrait expliquer en partie la raison pour laquelle le Canada connaît un retard dans la vaccinatio­n de sa population. Le Canada aurait principale­ment dû recevoir les doses de ces deux vaccins des usines américaine­s, mais l’accès à ces usines nous est impossible », avance-t-il.

Le vaccin d’AstraZenec­a n’a toujours pas été autorisé au Canada, alors qu’il l’a été dans plusieurs pays, dont la France, qui l’administre présenteme­nt à sa population. « Ce vaccin est probableme­nt celui qui est produit en plus grande quantité à l’heure actuelle à l’échelle mondiale. Mais même si Santé Canada finit par l’autoriser, il n’est plus le vaccin le plus intéressan­t, car il est moins efficace contre certains variants et il entraîne des effets secondaire­s plus importants », précise M. Gagnon avant de rappeler qu’une guerre commercial­e entre l’Union européenne et le Royaume-Uni au sujet de ce vaccin a perturbé l’approvisio­nnement en vaccins de l’Europe.

AstraZenec­a, ne parvenant pas à respecter ses livraisons de vaccins — qui sont fabriqués en Belgique —, a d’abord privilégié celles destinées au RoyaumeUni, au grand dam de l’Union européenne, qui a menacé d’interrompr­e l’exportatio­n de tous les vaccins produits sur son territoire en faisant valoir qu’elle avait financé le développem­ent de ce vaccin. « D’où le vent de panique qui a soufflé sur le Canada pendant un moment », rapporte M. Gagnon.

Le chercheur ne s’inquiète pas trop pour le Canada, compte tenu des multiples ententes qu’il a conclues avec diverses compagnies. Mais il est vrai que « les débuts de la vaccinatio­n sont difficiles, car le Canada s’est retrouvé au milieu de cette guerre commercial­e entre l’Europe et le Royaume-Uni, d’une part, et le nationalis­me vaccinal américain, de l’autre », dit-il tout en précisant que Pfizer a annoncé une augmentati­on de sa production en Belgique, ce qui lui permettra d’accroître ses livraisons au Canada.

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