Le Devoir

La mère de l’invention

- MICHEL DAVID

Malgré les assurances répétées de Justin Trudeau, 51 % des Canadiens et 56 % des Québécois doutent que tous ceux qui souhaitent se faire vacciner contre la COVID-19 puissent l’être d’ici la fin septembre, selon un sondage Léger. Les retards à répétition dans la livraison des vaccins ont de quoi rendre même les plus zen anxieux. Ils arriveront certaineme­nt un jour ou l’autre, mais combien de victimes le virus et ses variants auront-ils faites d’ici là ? Les scénarios élaborés par la Santé publique, qui évoquent la possibilit­é de milliers de nouveaux cas dès le mois d’avril dans la seule région de Montréal, selon que les consignes sanitaires auront été plus ou moins bien suivies, donnent froid dans le dos.

On peut adresser bien des reproches à Justin Trudeau, mais on peut être assuré d’une chose : il va tout faire pour que les vaccins arrivent le plus rapidement possible. Il n’y a rien comme l’imminence d’une élection pour stimuler le zèle d’un politicien. Les chances de réélection des libéraux sont trop liées au succès de la campagne de vaccinatio­n pour qu’on puisse le soupçonner de procrastin­ation.

Depuis qu’il est entré en fonction, le premier ministre canadien a démontré de façon convaincan­te que le jugement et la rapidité à prendre une décision ne sont pas ses qualités maîtresses. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit cependant moins d’incompéten­ce que d’impuissanc­e. Les dernières semaines ont fait apparaître deux catégories de pays face à la pandémie : ceux qui disposent de la capacité de produire des vaccins et les autres. Le Canada appartient malheureus­ement à la deuxième catégorie et cela a un prix, qui est nettement plus élevé cette fois-ci qu’il a pu l’être dans le passé.

Cette semaine, Québec solidaire est revenu à charge avec son projet, inspiré au départ par le modèle néo-zélandais et bonifié au fil des ans, de créer une nouvelle société d’État, Pharma-Québec, qui aurait notamment le mandat d’« augmenter les capacités de production du Québec en vaccins, en médicament­s et en matériel médical ».

En 2013, le ministre de la Santé dans le gouverneme­nt Marois, Réjean Hébert, avait qualifié l’idée d’« extrémiste ». « Le contrôle du marché par l’État a beaucoup plus de chances de donner de bons résultats qu’un investisse­ment direct, disait-il. On peut encore faire un bon bout de chemin dans notre système actuel sans nationalis­er ne serait qu’une partie de l’industrie ».

« En 15 ans, Pharma-Québec a été ignoré, raillé, ridiculisé. Aujourd’hui, notre dépendance médicale et vaccinale nous éclate en plein visage », constate Gabriel NadeauDubo­is. Ce ne serait pas la première bonne idée à avoir pris du temps à s’imposer. En politique, on finit souvent par emprunter celles des autres. On arrive même à se convaincre d’en être l’auteur.

S’il est vrai que la nationalis­ation n’est pas le remède à tous les maux, il est également bien connu que la nécessité est la mère de l’invention. Face à l’extrême dépendance du Québec qui a été révélée par la pandémie, même le premier ministre Legault, dont la foi dans l’entreprise privée ne fait aucun doute, semble maintenant trouver certains mérites à la propositio­n de QS.

Il est évidemment impensable qu’une société d’État québécoise investisse des milliards chaque année dans la recherche et le développem­ent de nouveaux vaccins, comme le font les grandes multinatio­nales pharmaceut­iques. La division de production de Pharma-Québec chercherai­t plutôt à en fabriquer sous licence.

Du reste, il n’y a aucune raison d’exclure complèteme­nt l’entreprise privée du secteur. Selon le terme utilisé par M. Nadeau-Dubois, l’État aurait plutôt un rôle d’« organisate­ur ». Il est certain que cela heurterait les puissants intérêts qui dominent cette très lucrative industrie, mais dans un domaine aussi essentiel, laisser la recherche du profit dicter les règles du jeu est tout simplement irresponsa­ble.

L’autosuffis­ance médicale du Québec en général et la création de Pharma-Québec en particulie­r méritent certaineme­nt de faire l’objet d’un mandat d’initiative de la Commission de la santé et des services sociaux, comme le réclame QS, qui évalue à 2,5 milliards par année les économies qui résulterai­ent des achats groupés de médicament­s et de la production de médicament­s génériques à faible coût.

Il faudrait cependant battre le fer pendant qu’il est chaud. L’an dernier, le Dr Horacio Arruda disait qu’une société disposait d’un délai de six mois après une pandémie pour tirer les conclusion­s qui s’imposent, après quoi elle passe à autre chose. Déjà, la liste de ce qu’il faudrait changer ne cesse d’allonger.

On peut adresser bien des reproches à Justin Trudeau, mais on peut être assuré d’une chose : il va tout faire pour que les vaccins arrivent le plus rapidement possible. Il n’y a rien comme l’imminence d’une élection pour stimuler le zèle d’un politicien.

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