Le Devoir

La pauvreté télévisuel­le

- Sylvie Marchand Artiste militante

Si la télévision est le miroir d’une société, la nôtre ne se porte pas très bien. Même qu’on se désole sérieuseme­nt d’un constant nivellemen­t vers le bas.

Si comme moi, vous n’en avez rien à faire ni à cirer des émissions de téléréalit­é, des vedettes et des « célébrités », de leurs interminab­les recettes, de leurs souvenirs d’enfance, de leurs squelettes dans le placard, et tout le tralala, vous restez alors sur votre faim. Oui, on a faim. Faim d’intellectu­els, d’experts, de gens capables de penser, de critiquer, de questionne­r.

On a besoin d’être nourris à l’informatio­n, d’être alimentés d’entrevues de fond, de débats, de hot seats, de réflexions, d’analyses, de décorticag­e du monde entier comme de la société québécoise, en somme, de contenu télévisuel substantie­l pour l’esprit.

Car si certains chroniqueu­rs et téléspecta­teurs ont le cerveau ramolli ces temps-ci, en raison de cette pandémie — et sans doute pas mal aussi par tous ces « beaux programmes » insignifia­nts qu’ils regardent à la télé —, d’autres au contraire croient que ce ralentisse­ment général des activités humaines offre une belle occasion de penser, une merveilleu­se possibilit­é de réfléchir, entre autres, à notre avenir. Mais où sont les intellectu­els à la télévision québécoise ? A-t-on encore le droit de penser, de réfléchir tout haut, de débattre à la télé ? Ou faut-il toujours s’amuser ?

On a besoin d’être nourris à l’informatio­n, d’être alimentés d’entrevues de fond, de débats, de hot seats, de réflexions, d’analyses, de décorticag­e du monde entier comme de la société québécoise, en somme, de contenu télévisuel substantie­l pour l’esprit

Car c’est manifestem­ent le règne du divertisse­ment à la télévision québécoise. Il faut sans cesse divertir, rire, faire rire, s’amuser, rester dans le léger, la détente et le réconfort, partout, constammen­t et à tout prix. Au prix de la pensée profonde, du raisonneme­nt, de la réflexion, oui.

On l’observe depuis longtemps, les humoristes sont partout. Ce phénomène n’est pas nouveau, me direz-vous. Or peuton AUSSI avoir des débats animés, des entrevues de fond menées par des femmes et des hommes d’expérience, capables d’aplomb, de questions incisives et de mordant ?

Vous n’êtes pas tannés, vous autres, de ces innombrabl­es vedettes sur tous les plateaux, servies à toutes les sauces ?

D’autant plus que si vous êtes pauvre, financière­ment maintenant, alors là vous n’avez pas cinquante-six mille choix à votre portée sur votre petit écran, ni même le câble, ni aucun abonnement à votre dispositio­n, soit dit en passant. Vous comptez forcément sur la télé publique. Mais déjà, les ingrédient­s de base pour penser et réfléchir ne sont pas accessible­s à tous, à commencer par l’informatio­n.

Comment se fait-il que RadioCanad­a n’offre pas son réseau d’informatio­n en continu, RDI, gratuiteme­nt ? N’est-ce pas le mandat du télédiffus­eur public, d’informer adéquateme­nt la population, les pauvres comme les mieux nantis ? On est en pleine pandémie ! On traverse présenteme­nt une crise sanitaire sans précédent, flanquée d’une crise économique, sans oublier la crise climatique dont plus personne ne parle vraiment, mais ces informatio­ns de base en continu ne sont pas disponible­s pour les pauvres… pardon, je veux dire pour les « personnes en situation de précarité et de pauvreté économique ». « Quoi qu’il arrive », oui, sauf pour les pauvres.

Bref, on a faim. Faim de grands changement­s, à la télé comme dans notre société, de nourriture aussi, tant pour le corps que pour l’esprit.

Cette pauvreté télévisuel­le finira par tous nous ramollir le cerveau, au lieu de nous élever intellectu­ellement vers le haut.

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