Des victimes non admissibles au régime d’aide prévu par la CAQ
L’aide aux victimes d’actes violents ne doit pas être tributaire d’une criminalisation de ces actes
Un proxénète vous exploite sexuellement. Chaque jour, des clients vous touchent sans votre consentement. L’État québécois vous aidera-t-il financièrement à guérir de ces agressions ? Vous êtes étudiante à l’université, et votre professeur vous harcèle sexuellement tout au long de votre session. Avez-vous droit à une aide pécuniaire ? Vous êtes victime de contrôle coercitif de la part de votre conjoint qui vous rabaisse, vous crie des insultes, vous empêche de voir votre famille, vous humilie devant vos proches. Obtiendrez-vous l’aide de l’État pour payer les frais de votre thérapie ?
Le gouvernement du Québec offre une réponse claire : non. Aucune de ces violences ne vous donnera droit à une aide pécuniaire de l’État. En déposant le projet de loi 84, le gouvernement de la CAQ a décidé de limiter l’aide étatique aux infractions inscrites au Code criminel qui, adoptées par le Parlement du Canada, n’incluent pas toutes les violences à caractère sexuel ou conjugal. En faisant reposer son projet de loi sur la criminalisation des comportements, le gouvernement risque de causer plusieurs problèmes.
D’abord, ce faisant, le gouvernement québécois laisse aux parlementaires canadiens le soin de décider quelles victimes d’actes violents le Québec aidera financièrement. Le régime d’aide qui sera adopté par l’Assemblée nationale du Québec dépendra donc des aléas législatifs du Parlement
du Canada en se référant exclusivement au Code criminel. L’Assemblée nationale se soumet, de cette façon, à l’entière volonté du Parlement du Canada.
Ensuite, en se référant aux infractions criminelles telles que prévues au Code criminel, nos député·es rendent le régime d’aide inaccessible aux victimes de plusieurs violences sexuelles et conjugales. Pour revenir à nos exemples, une victime de prostitution qui, en présence de ses clients, fait mine de consentir de crainte d’être battue par son proxénète n’est pas considérée comme une victime d’agression sexuelle puisque, du point de vue du droit criminel, ces clients pourraient être acquittés en prétendant avoir cru que la victime consentait à l’acte sexuel. Cette victime de prostitution pourrait ainsi recevoir une aide étatique pour le préjudice découlant du proxénétisme, mais pas pour celui résultant des agressions sexuelles. Quant au harcèlement sexuel dont est victime l’étudiante, il ne constitue pas une infraction criminelle, à moins qu’il ne corresponde au degré de sévérité et de dangerosité difficilement atteignable du « harcèlement criminel
La Commission pourrait amender le projet de loi afin d’y inclure toutes les victimes de violences sexuelles et conjugales. Un tel amendement pose peu de défis techniques, puisque ces concepts de « violence sexuelle » et de « violence conjugale » existent déjà dans notre droit.
». Par ailleurs, le contrôle coercitif que subit la victime de violence conjugale n’est pas, lui non plus, une infraction criminelle.
Il va sans dire que le gouvernement du Québec, lorsqu’il se limite aux infractions criminelles, oublie plusieurs violences sexuelles et conjugales que le Parlement du Canada n’a pas criminalisées. Or, même si un geste n’est pas criminel, il peut être violent. Ce sont ainsi des victimes réelles que le gouvernement propose d’écarter du régime d’aide.
Objectifs distincts
De plus, il faut préciser que le droit criminel n’est ni pensé ni articulé dans l’objectif d’indemniser les victimes d’actes criminels. En ce sens, l’objectif d’aide pécuniaire du régime québécois ne saurait s’arrimer avec les objectifs punitifs du droit criminel. Les discours remettant en question la pertinence de la criminalisation des comportements dont les causes sont avant tout sociales et collectives percolent de plus en plus dans les débats publics.
Nous sommes d’avis qu’il est nécessaire de considérer cette réflexion dans la création du régime d’aide et qu’il faut, de cette manière, éviter de faire reposer notre régime d’aide sur le principe de criminalisation des comportements, tout particulièrement en matière de violences sexuelles et conjugales. Cette critique bien vivante est vouée à ébranler le consensus social entourant la criminalisation des comportements. À long terme, plus elle gagnera en importance, moins d’actes violents seront criminalisés, et plus les victimes seront exclues en grand nombre du régime d’aide. L’aide aux victimes d’actes violents ne doit pas être tributaire d’une criminalisation de ces actes.
Face aux problèmes soulevés, une solution s’offre heureusement aux membres de la Commission des institutions, qui étudie actuellement le projet de loi 84. La Commission pourrait amender le projet de loi afin d’y inclure toutes les victimes de violences sexuelles et conjugales. Un tel amendement pose peu de défis techniques, puisque ces concepts de « violence sexuelle » et de « violence conjugale » existent déjà dans notre droit. Les mémoires de l’Association des juristes progressiste et de Me Michaël Lessard expliquent en détail cette solution. Il ne manque qu’un ingrédient magique : un soupçon de volonté politique.
Nous invitons le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, ainsi que les porte-parole des groupes d’opposition — Marc Tanguay, Christine Labrie et Véronique Hivon — à saisir l’occasion d’aider toutes les victimes de violences sexuelles et conjugales en amendant, cette semaine, le projet de loi 84.