Sur les sentences de peines consécutives
Enlever tout espoir de réhabilitation à l’accusé ne ramènera pas à la vie les personnes assassinées
On apprenait, en janvier dernier, que Québec allait contester en Cour suprême la peine d’emprisonnement d’Alexandre Bissonnette. Ce dernier est l’auteur de la fusillade de la mosquée de Québec, qui a fait six morts et plusieurs blessés en janvier 2017. La peine de 40 ans de prison (février 2019) avant de pouvoir demander une libération conditionnelle a été réduite à 25 ans, en novembre 2020, par la Cour d’appel du Québec. On ne connaît pas, à ce jour, les intentions du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) mais, lors du premier procès, le DPCP réclamait un minimum de 50 ans.
Ce type de sentence (peines consécutives) est un héritage du gouvernement conservateur et cette loi a été sanctionnée en 2011. Le principe, à la base de cette loi, est qu’on peut additionner les peines de prison à perpétuité (25 ans) lorsqu’on est face à un individu ayant commis plusieurs meurtres. Il y a quelques années, dans le cas du meurtre de trois policiers au Nouveau-Brunswick, Justin Bourque a été condamné à une peine de 75 ans de prison avant de pouvoir demander une libération conditionnelle. Il aura 99 ans (24 ans + 75 ans) lorsqu’il pourra déposer une telle demande. Aussi bien dire, dans un tel cas, qu’il est condamné à une « peine de mort » par emprisonnement. Si la même logique était appliquée à la tragédie de la mosquée de Québec, Alexandre Bissonnette écoperait d’une peine de 150 ans de prison (6 morts : 6 x 25 ans) avant de pouvoir demander une libération conditionnelle.
Pour reprendre les mots des juges de la Cour d’appel du Québec, pouvoir additionner les peines de prison à vie (25 ans) est une disposition « absurde, odieuse et dégradante ». Hormis le fait qu’un tribunal « ne doit pas rendre une ordonnance qui ne peut jamais se réaliser », les juges ajoutent que « cette disproportion pourrait bien satisfaire l’esprit vengeur », mais ils rappellent que « la vengeance n’a aucun rôle à jouer dans un système civilisé de détermination de la peine ».
« Peines à rabais »
Début 2010, lors des débats touchant ce projet loi, on entendait souvent cette expression venant des partisans d’une telle législation : il faut « éliminer les peines à rabais ». Comment peut-on prétendre, dans le cas d’une peine de 25 ans sans possibilité de libération, que c’est une « peine à rabais » ? Surtout lorsqu’on tient compte qu’il n’est pas certain, après cette période (25 ans), que la demande de libération conditionnelle sera acceptée.
Je ne suis pas avocat mais, à ma connaissance, le système de justice d’une démocratie comme la nôtre a deux objectifs principaux à atteindre. Premièrement, la sentence prononcée doit être en rapport avec la gravité et le contexte du geste posé, ainsi qu’avec le passé de l’accusé. Deuxièmement, le système doit mettre en place un processus de réhabilitation permettant la réinsertion sociale de cette personne et la protection du public. Comment, dans le cas de Justin Bourque, peut-on prétendre avoir atteint ces deux objectifs ? (Peine de prison : 75 ans. Âge lors de la première demande de libération : 99 ans).
Recul important
Les gestes posés par les deux personnes citées plus haut sont très graves. De plus, il y a les souffrances physiques et psychologiques des familles et des proches touchés par de tels actes criminels. Des souffrances, à n’en pas douter, qui sont immenses et avec lesquelles on doit apprendre à vivre pour le reste de nos jours. Cependant, enlever tout espoir de réhabilitation à l’accusé ne ramènera pas à la vie les personnes assassinées. De plus, cela va à l’encontre d’un des principaux objectifs de notre système de justice.
Ce projet de loi, tout comme un autre qui a suivi peu de temps après (Omnibus C-10), a soulevé un débat d’idées et d’opinions très important. Dans un texte très éclairant sur l’évolution de notre système de justice, M e Pierre Fortin rappelait que « l’humanisation du droit pénal est un des rares critères objectifs de l’avancement de la civilisation occidentale ». Additionner les peines de prison à vie (50 ans, 75 ans, 100 ans, etc.) est certainement, à cet égard, un recul très important que le législateur devra corriger le plus tôt possible.
Pour reprendre les mots des juges de la Cour d’appel du Québec, pouvoir additionner les peines de prison à vie (25 ans) est une disposition « absurde, odieuse et dégradante »