Le Devoir

Québec n’entend pas adopter le principe de Joyce

Le ministre Lafrenière se dit néanmoins « désolé » d’apprendre qu’une interprète atikamekw a été laissée à l’écart lors de la mort de Joyce Echaquan

- POLITIQUE MARIE-MICHÈLE SIOUI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC MAGDALINE BOUTROS

La mise à l’écart de l’interprète atikamekw de l’hôpital de Joliette lors du décès de Joyce Echaquan prouve qu’il reste « beaucoup de travail à faire », croit le ministre responsabl­e des Affaires autochtone­s, qui n’entend pas pour autant adopter le Principe de Joyce.

Le Devoir a révélé mercredi que Barbara Flamand, qui est agente de liaison en sécurisati­on culturelle pour la communauté de Manawan, était présente au Centre hospitalie­r de Lanaudière lorsque Joyce Echaquan y est décédée.

L’interprète a dit vivre des moments de détresse depuis la mort de Mme Echaquan. Elle a aussi raconté avoir vécu du racisme dès son arrivée en poste et s’être vu retirer l’accès à un bureau pendant une période de neuf mois. « Je devais flâner dans l’hôpital avec mon cellulaire, a-t-elle résumé. J’ai demandé plusieurs fois à ma directrice qu’elle intervienn­e, car j’étais toujours fatiguée de devoir traîner mon gros manteau d’hiver et, à l’automne, [de me déplacer] avec mes grosses bottes. »

En entrevue, le ministre responsabl­e des Affaires autochtone­s, Ian Lafrenière, s’est dit « désolé » de lire l’histoire de Mme Flamand. « Ça me rappelle une chose que je dis souvent : il y a encore beaucoup de travail à faire. Et on le sait. »

À l’Assemblée nationale, les partis d’opposition ont profité de l’occasion pour inciter le ministre à concrétise­r sa volonté en l’inscrivant dans la loi ou en adoptant le Principe de Joyce. Celui-ci, développé par le Conseil de la Nation Atikamekw, vise « à garantir à tous les Autochtone­s un droit d’accès équitable, sans aucune discrimina­tion, à tous les services sociaux et de santé ».

Au Devoir, le ministre Lafrenière a affirmé qu’il n’avait pas l’intention d’adopter ce principe, puisqu’il commande d’emblée une admission du « racisme systémique », que le gouverneme­nt de la Coalition avenir Québec ne souhaite pas reconnaîtr­e. « On n’est pas au rendez-vous pour le racisme systémique, mais je ne suis pas d’accord qu’à cause de ça, on doive rejeter du revers de la main le Principe de Joyce. Au contraire », a fait valoir l’élu. Il a rappelé avoir « salué » le rapport sur le Principe de Joyce et ajouté que le désaccord au sujet du racisme systémique « ne nous empêche pas de travailler dessus ». En novembre, Québec a octroyé 15 des 200 millions qu’il avait réservés pour la mise en oeuvre des recommanda­tions de la Commission Viens à la mise sur pied d’une formation obligatoir­e pour tout le personnel de la santé.

Les opposition­s sous le choc

Pour les opposition­s à Québec, les actions du ministre demeurent insuffisan­tes. « Il faut que le gouverneme­nt dise c’est quoi, le plan de match pour donner un vrai suivi au Principe de Joyce », a souligné l’élu libéral Gregory Kelley.

Il a salué les premières annonces du ministre Lafrenière et s’est dit prêt à collaborer avec lui pour passer à l’action. « Pour moi, ce n’est pas juste un slogan “Justice for Joyce”. »

Il s’est dit attristé d’apprendre que Mme Flamand a elle-même subi du racisme dans son milieu de travail. « C’est déplorable. Et j’espère que ce ne seront pas juste des mots qui seront lancés, mais des actions, de la part du CISSSS et de l’hôpital », a-t-il dit.

L’élue solidaire Manon Massé a pour sa part déclaré avoir été « sous le choc » à la lecture de l’histoire de Mme Flamand. « Savoir qu’il y avait des choses qui avaient été mises en place, notamment en assurant la présence d’une interprète sur place pour répondre aux besoins des Atikamekw, et que les intervenan­tes sur place n’ont pas cru bon de lever le “flag”

Combien de temps ça va prendre avant de voir la concrétisa­tion de ce que le gouverneme­nt a dit qu’il allait livrer à la suite des événements tragiques de Joliette ? GHISLAIN PICARD »

et de dire : peut-être qu’on aurait besoin d’aide, a-t-elle détaillé. Imaginez la douleur de M. Dubé [Carol Dubé, le conjoint de Joyce Echaquan] d’apprendre qu’en plus, il y avait quelqu’un sur place qui pouvait jouer un rôle d’interprète. C’est ça qui me choque. »

Pour elle, Québec ne pourra jamais agir efficaceme­nt sans reconnaîtr­e l’existence du racisme ou de la discrimina­tion systémique. Autrement, le gouverneme­nt « amène des réponses à la pièce », « trouve des solutions temporaire­s » et « ne raccommode pas le filet de sûreté adéquateme­nt », juge-t-elle.

Véronique Hivon, du Parti québécois, a de nouveau invité le ministre à inscrire la notion de « sécurisati­on culturelle » dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux, comme l’a recommandé la Commission Viens sur les relations entre les Autochtone­s et certains services publics au Québec. « Ça apparaît urgent de mettre ça en oeuvre. Il faut passer des bons principes et des bons mots et, vraiment, concrèteme­nt, montrer comment ça va s’articuler », a-t-elle affirmé. L’élue de Joliette a dit être « de tout coeur » avec Barbara Flamand, et « avec tout ce qu’elle a dû vivre comme choc, dans les circonstan­ces, en sachant le rôle qu’elle aurait pu jouer dans tout ça ».

Appel à l’action

Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, réclame aussi des actions rapides de la part du gouverneme­nt. « Combien de temps ça va prendre avant de voir la concrétisa­tion de ce que le gouverneme­nt a dit qu’il allait livrer à la suite des événements tragiques de Joliette ? » demande-t-il.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a notamment annoncé en novembre l’embauche prochaine de navigateur­s de service pour accompagne­r les membres des Premières Nations dans les établissem­ents de santé de la province, rappelle M. Picard. « C’est quand, la date de livraison ? Il y a une urgence ici. »

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