Le Devoir

Appel à la requalific­ation des « oubliés de la reprise »

- MARCHÉ DU TRAVAIL ÉRIC DESROSIERS

Les travailleu­rs victimes de la crise économique ne se replaceron­t pas tous seuls dans les emplois qu’on espère voir créés dans les prochains mois, observe l’Institut du Québec. Aussi, les enjeux liés à la requalific­ation et à la formation continue seront plus importants que jamais afin d’assurer la meilleure reprise économique possible, en plus de faire face au retour des problèmes de rareté de la main-d’oeuvre.

L’économie québécoise doit faire face aujourd’hui à un paradoxe, conclut l’Institut du Québec dans son bilan de l’emploi en 2020, dévoilé jeudi. D’un côté, le retour graduel à la normale de son marché du travail cache des écarts immenses entre les travailleu­rs qui s’en sont plutôt bien tirés et ceux qui ont subi de plein fouet le choc infligé par la pandémie de COVID-19. D’un autre côté, les principale­s victimes de la crise ne semblent pas particuliè­rement bien placées pour profiter de la reprise, et ce, même si de plus en plus de secteurs entrevoien­t déjà « un retour en force des pénuries de main-d’oeuvre ».

À première vue, note le rapport d’une cinquantai­ne de pages, on pourrait croire que le Québec s’en est finalement un peu mieux tiré que les autres provinces au Canada. Alors que « les pertes d’emplois colossales » du début de la crise faisaient craindre le pire, la dernière année a donné lieu à un certain rebond et s’est finalement bouclée sur une situation « loin d’être catastroph­ique », c’est-à-dire par une perte nette d’emplois au Québec de décembre 2019 à décembre 2020 (-2,9 %) un peu moins grande que la moyenne canadienne (-3,1 %) et qu’en Ontario (-3,2 %).

Ces chiffres cachent toutefois de grands écarts entre les secteurs économique­s et les types de travailleu­rs. Si des secteurs comme ceux de l’enseigneme­nt (+ 48 000 emplois), des services profession­nels (+ 31 000) ou des finances (+ 6000) sont même parvenus à croître durant cette période, ceux de l’hébergemen­t et de la restaurati­on (- 92 000), de l’informatio­n, de la culture et des loisirs (- 33 000), de la santé et de l’assistance sociale (31 000) ou même de la constructi­on (21 000) sont encore loin du compte.

Alors que les travailleu­rs de 25 à 54 ans ont presque rattrapé tout le terrain perdu et que ceux qui gagnent plus de 30 $ l’heure (+ 10 %) ou ont un diplôme universita­ire (+ 3 %) étaient même plus nombreux, en décembre, à occuper un emploi qu’un an auparavant, c’est tout le contraire qui se passe pour les jeunes hommes de 15 à 24 ans (-15,5 %), les femmes de 55 ans et plus (- 10 %), les travailleu­rs qui gagnent de 12 $ à 20 $ l’heure (- 16 %) ou qui ont, tout au plus, un diplôme du secondaire (- 11 %).

Problème d’arrimage

Malheureus­ement, ces « chômeurs pandémique­s » n’ont généraleme­nt pas le profil des travailleu­rs que recherchen­t les secteurs actuelleme­nt en croissance, ce qui explique en partie que le nombre de chômeurs de longue durée (+ de 27 semaines) a plus que doublé et compte désormais pour le quart du total, alors même que le nombre de postes vacants demeure élevé au Québec. Le coup d’accélérate­ur donné par la pandémie à la transition vers le commerce électroniq­ue, le télétravai­l et les technologi­es numériques ne risque que de creuser encore plus le fossé entre cette main-d’oeuvre et les besoins des entreprise­s.

« Le Québec n’a pas les moyens de se priver de ces travailleu­rs », qui sont non seulement menacés aujourd’hui de devenir « les oubliés de la reprise », mais qui pourraient en outre devenir « le principal frein » si l’on ne trouve pas le moyen de les réintégrer au marché du travail, prévient l’Institut du Québec dans son rapport. Le problème est d’autant plus grave que la crise n’a rien changé aux tendances démographi­ques à long terme et que le Québec est toujours destiné à voir rétrécir son bassin de main-d’oeuvre potentiel avec le vieillisse­ment de sa population. « Plus que jamais, pénuries de main-d’oeuvre, déficits de compétence­s et chômage coexistent dans le marché du travail québécois. »

Mia Homsy s’en fait particuliè­rement pour les jeunes hommes de 15 à 24 ans, dont le taux de chômage a grimpé en 12 mois de 10,5 % à 15,6 %, et le taux d’activités dans le marché du travail a reculé de 71 % à 64 %. « C’est le groupe qui présente le plus grand risque de décrochage, ce qui serait un drame économique et social », a expliqué en entretien téléphoniq­ue au Devoir la présidente-directrice générale de l’Institut du Québec.

Éducation et formation

L’un des meilleurs outils pour favoriser un meilleur appariemen­t entre la main-d’oeuvre disponible et les besoins de l’économie québécoise est l’éducation, fait valoir Mia Homsy. Et pas seulement la formation de base, offerte à tous les enfants durant leur parcours scolaire, mais aussi la formation continue des travailleu­rs, tout au long de leurs carrières profession­nelles, ainsi que leur requalific­ation lorsqu’ils se retrouvent sans emploi et cherchent à passer à un autre secteur d’activité.

Or, bien que souvent évoquées par le gouverneme­nt du Québec, ces questions de formation ne semblent toujours pas être au centre de ses préoccupat­ions, s’étonne Mia Homsy. « Cela m’apparaît inconcevab­le. Je ne vois pas comment les politiques de formation et de requalific­ation pourraient ne pas être au coeur des politiques de relance économique du gouverneme­nt ! Elles devraient être conditionn­elles à toutes les autres mesures destinées aux entreprise­s. »

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Les questions liées à la requalific­ation et à la formation continue seront plus importante­s que jamais afin d’assurer une reprise économique forte, estime l’Institut du Québec.
GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE CORONAVIRU­S Les questions liées à la requalific­ation et à la formation continue seront plus importante­s que jamais afin d’assurer une reprise économique forte, estime l’Institut du Québec.

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