Le Salon du livre de Québec sous le feu des critiques
La décision de confier à Denise Bombardier l’animation de discussions avec des auteurs autochtones est qualifiée d’insensible par le milieu littéraire
Le choix de la chroniqueuse Denise Bombardier pour animer des rencontres avec des auteurs des Premières Nations au prochain Salon international du livre de Québec (SILQ) a soulevé une vague de mécontentement dans le milieu littéraire jeudi. Beaucoup y voient un manque de sensibilité envers les auteurs autochtones invités, qui remettent, pour certains, leur participation en question.
C’est le cas de la poète innue Joséphine Bacon. « Je refuse d’être interviewée par une personne qui a des idées bien arrêtées sur les Premières Nations et qui tient des propos pas toujours jolis sur elles. Ça ne m’intéresse pas de répondre à quelqu’un qui ne m’aime pas d’avance », précise celle qui déplore ne pas avoir été prévenue avant le dévoilement de la programmation mercredi.
Pour la prochaine édition du SILQ, qui se tiendra du 7 au 11 avril, une vingtaine d’écrivains québécois et étrangers ont été invités à parler de leurs oeuvres lors de rencontres animées pour la plupart par Denise Bombardier. Un choix vivement critiqué sur les réseaux sociaux jeudi par le milieu de la littérature et de l’édition. Car Mme Bombardier, qui a plusieurs fois tenu des propos controversés sur les Autochtones, sera amenée à interviewer trois auteurs innus, Joséphine Bacon, Michel Jean et Naomi Fontaine. Sans compter la présence au SILQ
de Natasha Kanapé Fontaine et de Louis-Karl Picard-Sioui.
En 2015, la chroniqueuse a notamment qualifié la culture autochtone de « mortifère » et « anti-scientifique » dans un texte publié dans le Journal de Montréal. Des mots qui ont à l’époque secoué les membres des communautés autochtones, dont l’autrice innue Natasha Kanapé Fontaine.
Celle-ci avait à l’époque affronté directement Mme Bombardier, après une conférence au Salon du livre de la CôteNord, sur ses propos qu’elle jugeait racistes. Cet épisode a d’ailleurs donné lieu à son livre Kuei je te salue, conversation sur le racisme, écrit en collaboration avec Deni Ellis Béchard et réédité le mois dernier. Mme Fontaine n’a pas répondu aux appels du Devoir jeudi.
« On connaît tous le manque de sensibilité de Mme Bombardier dans ses prises de position publiques, dans ses billets au Journal de Montréal et dans ses livres. À chaque fois qu’elle aborde la question autochtone, c’est pour le faire d’une façon méprisante, démagogique et sans aucune sensibilité envers notre culture et notre réalité », renchérit l’auteur Louis-Karl Picard-Sioui, originaire de Wendake.
Convié à animer une première partie d’entrevue au SILQ, il n’aura pas à se retrouver face à Mme Bombardier. Cela ne l’empêche pas d’éprouver un malaise. « La situation dans laquelle les autres auteurs autochtones se retrouvent, sans même avoir été prévenus d’avance, est inacceptable, soutient-il. Le Salon du livre, c’est une fête, un moment pour célébrer nos réussites et diffuser nos oeuvres. Mais comment être là pour célébrer quand on ne se sent pas en sécurité, quand il n’y a pas de lien de confiance avec la personne qui doit poser les questions ? »
Il dit remettre aussi en question sa participation à l’événement littéraire, par solidarité. « Ma décision n’est pas encore prise. J’ai envie de tendre la main, de donner la chance au coureur, et de voir comment le SILQ va réagir », indique-til, expliquant avoir contacté l’équipe du SILQ jeudi pour partager son malaise.
Son souhait ? Que Denise Bombardier n’anime pas les rencontres prévues avec les auteurs des Premières Nations. « Je ne suis pas dans la censure. Mme Bombardier, comme autrice, a sa place au Salon du livre. Elle peut aussi exprimer son opinion dans ses écrits, même si c’est condescendant et des niaiseries. Mais dans ces circonstances, le minimum serait de lui retirer les entrevues avec les auteurs autochtones. »
Pour sa part, Naomi Fontaine compte toujours participer à l’événement. « C’est peut-être l’occasion d’avoir un dialogue avec elle, de faire un peu d’éducation. En même temps, je ne fais pas ça pour elle, je vais parler de mes livres pour les lecteurs avant tout », souligne-t-elle.
Joints par Le Devoir, ni Mme Bombardier ni le SILQ n’ont souhaité commenter la situation. À l’émission Premières Loges de CKRL mercredi, le directeur général par intérim du SILQ, Daniel Gélinas, avait toutefois indiqué ne pas « voir de problématique » dans le fait de choisir Mme Bombardier pour interviewer des auteurs autochtones. Lorsque l’animatrice Julie Collin lui a lu un passage du livre Kuei je te salue, racontant l’altercation en 2015 entre la chroniqueuse et Natasha Kanapé Fontaine, M. Gélinas a répondu : « C’est l’fun, il y a de la controverse là-dedans. Ce n’est pas une mauvaise chose. »
Déconnexion
« Comment peut-on trouver une controverse raciste le fun, si ce n’est qu’en pensant juste à l’aspect financier de la chose ? » s’emporte l’autrice Vanessa Bell, qui a été l’une des premières à soulever l’incohérence de la programmation.
Pour celle qui est aussi présidente de la Table des lettres de Québec Chaudière-Appalaches, cet « incident » démontre à quel point le SILQ est déconnecté de son milieu. Elle critique d’ailleurs le fait que le SILQ se targue de proposer une programmation « innovante » en mettant pourtant en tête d’affiche des vedettes internationales — Ken Follett, Margaret Atwood, ÉricEmmanuel Schmitt ou encore Marc Levy — que l’on voit déjà partout. « On refait la même chose, on prend une recette qui fonctionne. [...] C’est insultant de voir qu’on n’a pas pensé à laisser plus de place aux moyens et petits joueurs d’ici, alors que la littérature québécoise jouit d’une crédibilité, d’une inventabilité et d’une grande reconnaissance à l’international. »