« Pas d’urgence » pour la seconde dose
La première injection de vaccins de Pfizer et de Moderna est efficace à 80 %
La première dose des vaccins à ARNm contre la COVID-19 des compagnies Pfizer-BioNTech et Moderna présente une efficacité d’au moins 80 %, avancent des publications scientifiques ainsi que des données préliminaires accumulées au Québec durant le début de la campagne de vaccination. Une telle efficacité conforte les tenants de la stratégie visant à administrer une première dose de vaccin au plus grand nombre de personnes vulnérables avant de procéder à l’inoculation de la seconde dose. Dans un article paru le 18 février dans le New England Journal of Medicine, le Dr Siri Kadire, de l’Université de Californie à San Francisco, expose les risques et les bénéfices de reporter la seconde dose des vaccins de Pfizer-BioNTech et de Moderna au-delà des trois et quatre semaines respectivement recommandées par les deux fabricants.
Le Dr Kadire rappelle d’abord que dans le cadre des essais cliniques, l’efficacité de la première dose était d’environ 85 % au moment de l’administration de la seconde dose des deux vaccins, alors que celle estimée après la deuxième dose s’élevait à 95 %.
Dans un commentaire publié également dans le NEJM, le Dr Gaston De Serres, médecin épidémiologiste à l’Institut national de santé publique (INSPQ), et sa collègue Danuta Skowronski, du British Columbia Centre for Disease Control, affirment quant à eux avoir calculé — à partir des documents soumis par Pfizer-BioNTech à la Food and Drug Administration (FDA) — que le vaccin aurait une efficacité de 92,6 % deux semaines après la première dose. Les deux chercheurs estiment que les bénéfices tirés par l’administration de la deuxième dose un mois après la première, comme recommandé, apparaissent alors très minces à court terme.
Pas sans risque
Le Dr Kadire évoque tout de même les risques qui pourraient résulter du report de la deuxième dose. « Il est possible que la seconde dose soit moins efficace si elle est administrée plus tard, mais peu de scientifiques créditent cette hypothèse. Ou que l’immunité décline entre la première et la seconde dose, mais la rareté des cas de réinfection suggère plutôt que l’immunité, du moins celle induite par l’infection, persiste plus de trois mois », écrit-il.
Il rapporte également l’hypothèse avancée par certains experts selon laquelle « une vaccination partielle, en induisant une réponse immunitaire moins robuste, pourrait accroître le risque de mutations qui pourraient conduire à l’apparition de variants dotés de propriétés problématiques ».
Selon le Dr Don Vinh, microbiologiste infectiologue au CUSM, cette possibilité est très peu probable. « Un tel phénomène n’est arrivé qu’une seule fois dans toute l’histoire de la vaccination chez l’humain, et ce, non pas en raison d’un trop long délai entre les deux doses du vaccin, mais plutôt en raison des qualités intrinsèques du vaccin, soit le fait qu’il ne ciblait pas un nombre suffisant de sites différents sur le virus », souligne-t-il.
« Si on regarde les vaccins actuels contre la COVID-19, nous devrions avoir peur non pas du délai entre les deux doses, mais des propriétés des vaccins actuels qui ne visent qu’une seule cible, la protéine S (spicule), qui a commencé à changer sous nos yeux avant même qu’on commence à administrer des vaccins. Des variants sont apparus autour du monde avant le déploiement des vaccins, et donc sans aucune pression de sélection exercée par les vaccins », fait-il remarquer.
Variants préoccupants
L’émergence de bactéries ou de virus résistants est par contre plus fréquente lors du sous-dosage d’un traitement antibiotique ou antiviral, alors que l’infection est bien établie, tandis que le vaccin est administré, quant à lui, avant même qu’une infection s’installe, avant que le microbe ne soit présent, ajoute-t-il.
« Les variants peuvent apparaître chez une personne au système immunitaire affaibli et dont l’infection dure des semaines », a expliqué le Dr Nicholas Brousseau, président du Comité sur l’immunisation du Québec (CIQ), lors d’un breffage technique tenu jeudi matin. « Avec la stratégie actuelle de
vacciner le plus de personnes possible dans les milieux comme les CHSLD et les résidences privées pour aînés, où on va réduire de façon importante le nombre de cas, ça apparaît comme une façon efficace de limiter l’apparition der variants. »
Le D Kadire conclut finalement que relativement à l’émergence de variants du SRAS-CoV-2, plus contagieux et potentiellement plus dangereux, et compte tenu d’un approvisionnement limité en vaccins, il apparaît moins risqué de repousser la seconde dose afin de pouvoir administrer une première dose à un plus grand nombre de personnes. Mais il insiste sur l’importance d’« administrer la seconde dose aussitôt que les réserves de vaccins seront plus abondantes ».
Lors du breffage technique, des chercheurs de l’INSPQ ont indiqué que les deux vaccins contre la COVID-19 administrés au Québec sont suffisamment efficaces pour maintenir la stratégie de reporter l’inoculation de la deuxième dose. Les personnes vaccinées sont protégées à 80 % et cette immunité se maintient au fil des semaines pour l’instant, ont-ils fait valoir.
« L’efficacité de la première dose de vaccin au Québec est en deçà de celle qui avait été constatée lors des essais cliniques, qui sont effectués dans les meilleures conditions possibles, soit en excluant les personnes déjà malades, contrairement à la vaccination dans les CHSLD », a expliqué le Dr De Serres.
« Pour le moment, selon ce qu’on peut voir dans les données au Québec, il n’y a pas de grande urgence à donner la deuxième dose parce que cette première dose-là protège bien », a-t-il déclaré.
Si l’arrivée de nouveaux variants, comme le britannique, devenait trop préoccupante, le CIQ pourrait recommander de reporter la deuxième dose au-delà de la limite actuelle des 90 jours.