Le Devoir

Il faut cesser de soutenir Jovenel Moïse en Haïti

- Bianca Mugyenyi Directrice, Institut canadien de politique étrangère*

Le gouverneme­nt canadien doit mettre fin à l’appui qu’il donne à un président haïtien répressif, corrompu et dépourvu de légitimité constituti­onnelle. Au cours des deux dernières années, les Haïtiens ont manifesté une opposition irréductib­le à Jovenel Moïse dans le cadre de manifestat­ions massives et de grèves générales exigeant qu’il soit démis de ses fonctions.

Depuis le 7 février, Jovenel Moïse occupe le palais présidenti­el de Port-au-Prince à l’encontre des articles 134.2 et 134.3 de la Constituti­on et 239 de la loi électorale reconnus par l’écrasante majorité des institutio­ns du pays. La demande de Moïse de prolonger d’une année son mandat a été rejetée par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, la Fédération des Barreaux d’Haïti et d’autres institutio­ns constituti­onnelles. L’opposition avait nommé un juge de la Cour de cassation pour qu’il dirige un gouverneme­nt intérimair­e après l’expiration de son mandat, mais Moïse a illégaleme­nt fait arrêter l’un des juges de la Cour de cassation et en a destitué trois autres. De plus, la police a occupé la Cour de cassation et a réprimé les manifestan­ts, tirant sur deux reporters qui couvraient les manifestat­ions. Les juges du pays ont lancé une grève illimitée pour forcer Moïse à respecter la Constituti­on.

Depuis janvier 2020, Moïse gouverne par décret. Après l’expiration des mandats de la plupart des membres du gouverneme­nt parce qu’il n’a pas tenu des élections, Moïse a annoncé le projet de réécrire la Constituti­on. Des élections justes sont impossible­s sous la direction de Moïse parce qu’il a récemment fait pression sur l’ensemble du conseil électoral pour que les membres de celui-ci démissionn­ent, et qu’il a ensuite nommé unilatéral­ement de nouveaux membres.

La légitimité de Moïse a toujours été faible, et il a recueilli moins de 600 000 voix dans un pays de 11 millions d’habitants. À partir de l’éclatement des manifestat­ions massives contre la corruption et contre le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) de la mi-2018, Moïse n’a pas cessé d’accroître la répression. Un récent décret présidenti­el a criminalis­é les personnes qui dressent des barricades de protestati­on, considéran­t ce geste comme du « terrorisme », tandis qu’un autre décret a créé une nouvelle agence de renseignem­ent ayant des agents anonymes autorisés à infiltrer et à arrêter toute personne considérée comme se livrant à des actes « subversifs » ou menaçant la « sécurité de l’État ». L’ONU a confirmé, dans le cadre d’un des pires cas documentés, la culpabilit­é du gouverneme­nt haïtien dans le massacre d’au moins 71 civils dans le quartier pauvre de La Saline, à Port-au-Prince, survenu à la mi-novembre 2018.

Toutes ces informatio­ns sont à la dispositio­n des autorités canadienne­s, mais celles-ci continuent de financer et de former une force de police qui a violemment réprimé les manifestat­ions organisées contre Moïse. L’ambassadeu­r du Canada en Haïti a assisté à plusieurs reprises à des cérémonies de la police tout en refusant de critiquer les actes de répression contre les manifestan­ts commis par celle-ci. Le 18 janvier, l’ambassadeu­r Stuart Savage a rencontré le controvers­é nouveau chef de police Léon Charles pour discuter du « renforceme­nt des capacités de la police ».

Les représenta­nts du Canada de l’influent « Core Group », composé des ambassadeu­rs des ÉtatsUnis, de la France, de l’OEA, de l’ONU et de l’Espagne, à Port-auPrince, ont offert à Moïse un important appui diplomatiq­ue. Le 12 février, le ministre des Affaires étrangères du Canada, Marc Garneau, s’est entretenu avec le ministre des Affaires étrangères de facto d’Haïti. La déclaratio­n sur la réunion a annoncé des programmes mixtes d’Haïti et du Canada d’accueillir une conférence prochaine. La déclaratio­n ne mentionnai­t cependant pas le fait que Moïse avait prolongé son mandat et limogé illégaleme­nt des juges de la Cour de cassation, qu’il gouverne par décrets ou qu’il criminalis­e les manifestat­ions.

Il est temps que le gouverneme­nt canadien arrête d’appuyer une dictature répressive et corrompue en Haïti. * Ce texte est appuyé par une centaine d’artistes, de militants et d’universita­ires, d’ici et d’ailleurs, dont Noam Chomsky, Naomi Klein, Roger Waters, Svend Robinson, Will Prosper et Alain Deneault.

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