Le Devoir

La basilique Notre-Dame peine à se redresser

- JEANNE CORRIVEAU

Les églises québécoise­s sont plongées dans une crise et la basilique Notre-Dame de Montréal n’y fait pas exception. Aux prises avec une situation financière jugée « très préoccupan­te », la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal envisage de revoir en profondeur l’ensemble des activités à la basilique et au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.

Dans une lettre adressée à ses employés en novembre dernier et dont Le Devoir a obtenu copie, la Fabrique fait état de déficits importants et insiste sur la nécessité de mettre en place un plan de redresseme­nt.

Ainsi, entre 2008 et 2019, le cimetière Notre-Dame-des-Neiges a enregistré des pertes totalisant près de 103 millions de dollars, soit environ 8,6 millions par année. Pour ce qui est de la basilique, vieille de 190 ans, les pertes atteignent 8,6 millions en 12 ans, soit 715 000 $ par année, peut-on lire dans une missive écrite aux employés par le directeur général de la Fabrique, Jean-Charles Boily.

La basilique dépend du tourisme internatio­nal. Or, ce marché s’est effondré avec la pandémie, note M. Boily. La présentati­on du spectacle d’Aura a d’ailleurs été suspendue au printemps 2020.

En août dernier, la direction de la basilique anticipait des pertes de revenus de 12 millions pour 2020, attribuabl­es à la pandémie de COVID-19.

Avec des revenus réduits, la Fabrique doit tout de même procéder à d’importants travaux de restaurati­on de la basilique dont les coûts sont estimés à 30 millions de dollars. La première phase a été lancée en juin dernier, mais l’inquiétude subsiste. La basilique a obtenu un financemen­t d’un million du Conseil du patrimoine religieux du Québec et le mois dernier, Ottawa lui a versé un million, mais cette somme est destinée à l’aider à traverser la crise sanitaire.

Quant aux dépenses d’exploitati­on du cimetière Notre-Dame-des-Neiges, elles dépassent de 40 % ses revenus. La direction évoque les salaires et les avantages sociaux des employés qui s’élèvent à 11,4 millions par année, ce qui représente plus de 85 % des revenus annuels.

La direction constate que le nombre d’inhumation­s de cercueils a diminué de près de 30 % en 10 ans. « Nos dépenses d’exploitati­on sont demeurées au même niveau élevé même si nous desservons 400 familles endeuillée­s de moins en 2019 qu’en 2009. […] Chaque inhumation entraîne une perte moyenne de plus de 1000 $. » Le cimetière est aussi confronté à une compétitio­n féroce et des travaux de 6 millions de dollars seront nécessaire­s aux différents bâtiments du cimetière, ajoute-t-on.

« Il est essentiel de changer en profondeur notre modèle d’organisati­on et de revoir l’ensemble de nos activités, dans les deux unités, afin de réduire nos coûts de manière importante », écrit la direction.

Dans sa lettre, M. Boily indique que le conseil d’administra­tion a déjà approuvé un plan de redresseme­nt financier. Même s’il évoque des « décisions difficiles, mais incontourn­ables », il ne les détaille pas.

La direction de la Fabrique n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.

La lettre envoyée par la direction a créé une onde de choc chez les employés de la basilique, indique Hélène Godin, présidente du Syndicat des employés de la basilique qui compte une trentaine de membres. « Ç’a créé de la peur, de l’insécurité et de l’anxiété », dit-elle en précisant qu’au printemps dernier, la plupart des employés ont été envoyés à la maison et n’ont pas été rappelés depuis.

Selon Mme Godin, les employés ont été laissés dans le noir quant aux intentions de la direction. Devant les menaces de mises à pied massives, le syndicat a déposé un grief, dit-elle. « Ultimement, ce qu’on veut, c’est que ce joyau architectu­ral devienne un porte-étendard montréalai­s, pas juste pour les gens qui viennent visiter la ville mais pour les Montréalai­s aussi. Il faut que les gens se réappropri­ent Notre-Dame. »

Au syndicat des employés d’entretien du cimetière, qui compte 125 membres, on prend avec un certain scepticism­e le discours alarmiste de la direction. « Ça fait 27 ans que je suis au cimetière. […] Ça ne date pas d’hier que les dirigeants disent qu’ils n’ont pas d’argent et qu’ils demandent des subvention­s », indique le président du syndicat, Benoît Simard. « Ils nous ont fait part du fait qu’ils voulaient faire d’énormes coupures dans les employés, mais c’est sûr que c’est une tactique de négociatio­n. »

Un modèle à revoir

Située dans le site patrimonia­l du Vieux-Montréal, la basilique Notre-Dame n’est pas classée en vertu de la Loi sur les biens culturels. Mais selon Luc Noppen, de la Chaire de recherche en patrimoine urbain de l’UQAM, le problème de la basilique est ailleurs. C’est la propriété religieuse du bâtiment qu’il faudrait changer et qui empêche de grandes corporatio­ns comme les banques et la Caisse de dépôt et placement du Québec d’investir dans cette organisati­on, avance-t-il.

« On ne peut pas penser qu’une corporatio­n ecclésiast­ique, dont la vocation est l’évangélisa­tion et l’action apostoliqu­e, avec ses très peu de fidèles, finance le maintien d’un patrimoine qui, aux yeux de tout le monde, est d’intérêt public », explique-t-il.

L’expert suggère la création d’une fiducie foncière pour la gestion des grands monuments patrimonia­ux. « Ça ne veut pas dire que la basilique ne pourrait plus servir au culte, mais si sa propriété devenait laïque, de grandes corporatio­ns pourraient vouloir associer leur nom au prestige de ce bâtiment. » Ses activités pourraient aussi être plus diversifié­es, ajoute-t-il.

Selon lui, il est aussi temps que les pouvoirs publics s’investisse­nt dans la basilique comme elles l’ont fait pour l’hôtel de ville de Montréal qui fait l’objet d’importants travaux de restaurati­on. « Quand on voit ce que les Français sont prêts à faire pour NotreDame de Paris, on se dit qu’on pourrait en faire un petit bout pour NotreDame de Montréal. »

Ils nous ont fait part du fait qu’ils voulaient faire d’énormes coupures dans les employés, mais c’est sûr que c’est une tactique de négociatio­n BENOÎT SIMARD

 ?? MARIE FRANCE-COALLIER LE DEVOIR ?? Dans une lettre adressée à ses employés, la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal fait état de déficits importants et insiste sur la nécessité de mettre en place un plan de redresseme­nt.
MARIE FRANCE-COALLIER LE DEVOIR Dans une lettre adressée à ses employés, la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal fait état de déficits importants et insiste sur la nécessité de mettre en place un plan de redresseme­nt.

Newspapers in French

Newspapers from Canada