Le Devoir

Voeux pieux

- ROBERT DUTRISAC

La ministre des Langues officielle­s, Mélanie Joly, a rendu public son document, intitulé Français et anglais : vers une égalité réelle des langues officielle­s au Canada, visant à moderniser la Loi sur les langues officielle­s, plus d’un demi-siècle après son adoption, et à prendre des mesures administra­tives ou autres visant le soutien des locuteurs des deux langues en milieu minoritair­e. Le gouverneme­nt Trudeau s’est toutefois donné la responsabi­lité de protéger et de promouvoir le français au Québec même. Comme le discours du Trône du mois de septembre le mentionnai­t, Justin Trudeau reconnaît maintenant que la situation du français au pays est « particuliè­re ».

Le document rappelle que « la transmissi­on du français est insuffisan­te pour assurer le maintien du poids démographi­que des communauté­s francophon­es hors Québec », tandis qu’au Québec, « particuliè­rement à Montréal, les données démographi­ques révèlent que le maintien de la place du français comme langue d’intégratio­n, de travail et de formation demande des efforts accrus », un bel euphémisme pour parler d’un recul.

Armée de bonnes intentions, la ministre Joly propose « un éventail de changement­s » afin « d’établir un nouvel équilibre en matière linguistiq­ue aux pays », comme si un quelconque équilibre existait déjà. D’une façon générale, le document maintient cette vision symétrique du français et de l’anglais. Jamais le document ne parle d’asymétrie.

Bien que le Canada soit officielle­ment bilingue, il n’est pas un pays bilingue. Il faut comprendre que la Loi sur les langues officielle­s n’a jamais eu comme objectif de changer cet état de fait. Elle impose à l’État fédéral de fournir aux citoyens, partout au pays, des services en français ou en anglais à leur choix, ce qui demeure « un défi » dans plusieurs régions du pays, de l’aveu même d’Ottawa. Accessoire­ment, la Loi affirme le droit des fonctionna­ires de travailler dans leur langue, un droit qui, en réalité, ne peut être pleinement exercé s’ils sont francophon­es.

Le gouverneme­nt Trudeau reconnaît d’ailleurs que l’adoption de la Loi en 1969, si elle a « transformé le visage des institutio­ns fédérales […] n’a pas mis un terme à l’évolution du paysage linguistiq­ue au Canada ». De même, l’enchâsseme­nt en 1982 dans la Charte canadienne des droits et libertés du droit de la minorité linguistiq­ue à l’éducation dans sa langue n’a pas permis de maintenir ou d’augmenter le poids de la population francophon­e à l’extérieur du Québec. Ainsi, on ne comptait que 3,9 % de francophon­es dans le reste du Canada en 2011 — contre 6,6 % en 1971 — et Statistiqu­e Canada prévoit que cette proportion chutera à 3 % dans 15 ans, rappelle le document.

Ottawa compte sur l’immigratio­n francophon­e pour contrer cette tendance. Or, c’est la stratégie qu’il déploie à l’heure actuelle et les résultats ne sont pas au rendez-vous.

En ce qui a trait aux entreprise­s à charte fédérale établies au Québec, Ottawa confirme qu’il ne laissera pas le gouverneme­nt caquiste les soumettre à la Charte de la langue française. En vertu de nouvelles règles fédérales, les employés de ces entreprise­s auront le droit de travailler en français et sera interdite la discrimina­tion envers ceux qui ne connaîtrai­ent que le français. Quant au commissair­e aux langues officielle­s, une instance édentée, il jouira de pouvoirs d’interventi­on accrus.

Nous cherchons encore dans le plan dévoilé par la ministre Joly ce qui pourrait renverser la tendance de fond. Certes, le gouverneme­nt Trudeau reconnaît l’évidence, mais sans se montrer convaincan­t quant aux solutions qu’il pourrait apporter. Les voeux pieux, aussi sincères soient-ils, ne peuvent servir de politique.

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