Le Devoir

Huit femmes victimes de meurtre conjugal au Québec en 2020

- MAGDALINE BOUTROS AMÉLI PINEDA

Huit femmes ont perdu la vie aux mains d’un conjoint ou d’un ex-conjoint violent en 2020, selon une recension effectuée par Le Devoir dans le cadre de sa vigie des meurtres conjugaux. Certains drames ont été largement médiatisés, tandis que d’autres ont rapidement sombré dans l’oubli. Ils ont en commun de s’être enracinés dans un cycle de violence, commis derrière des portes closes, dont l’issue aurait parfois pu être évitée grâce à une meilleure évaluation des risques.

Malgré une hausse et une intensific­ation des violences pendant le confinemen­t, l’effet redouté de la pandémie sur la hausse des meurtres conjugaux ne s’est pas concrétisé. Environ une dizaine de féminicide­s commis par un conjoint, un ex-conjoint, un ami intime ou un ex-ami intime sont déplorés chaque année au Québec.

« De très nombreuses femmes nous ont dit que les violences étaient plus graves et plus sévères, même pour leurs enfants, durant la première vague, soutient Louise Riendeau, responsabl­e des dossiers politiques au Regroupeme­nt des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Mais les homicides conjugaux surviennen­t souvent au moment de la rupture. »

Or, comment quitter un conjoint violent alors que les visites de logements à louer étaient quasi impossible­s, que les pertes d’emplois s’accumulaie­nt, que les écoles et les garderies étaient fermées et que les proches étaient désormais si loin ? Sans oublier la difficulté d’organiser un départ ou encore de demander de l’aide lorsque le conjoint était à tout moment à la maison.

« La COVID-19 est venue ajouter encore plus d’incertitud­es et d’insécurité à la difficile décision de quitter un conjoint », analyse Claudine Thibaudeau, responsabl­e du soutien clinique pour l’organisme SOS Violence conjugale.

Une réalité qui s’est aussi traduite pendant le premier confinemen­t par une baisse des demandes d’hébergemen­t en maisons pour femmes victimes de violence conjugale, avant qu’elles ne repartent en hausse dans les derniers mois.

À l’inverse, les demandes d’aide ou d’informatio­n effectuées par voie électroniq­ue — que ce soit par textos ou par clavardage, des moyens plus discrets — ont connu une hausse importante. « On se dirige vers une année record », mentionne Claudine Thibaudeau.

Annuelleme­nt, environ 30 000 demandes d’informatio­n, d’aide ou de soutien sont reçues par SOS Violence conjugale ; près de 80 % de celles-ci provenant de victimes et 20 % de proches, de policiers ou de travailleu­rs de la santé.

Selon un sondage effectué auprès de 87 femmes entre juillet et novembre par le Regroupeme­nt des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, 42 % des femmes interrogée­s ont dit avoir vécu des violences (peu importe leurs formes) plus graves pendant le confinemen­t et 43,5 % d’entre elles ont affirmé avoir vécu des violences plus fréquentes. Et 51 % des femmes ont déploré des violences plus graves et plus fréquentes envers leurs enfants.

Des drames évitables ?

Une constante qui se dégage de la majorité des meurtres conjugaux est que ceux-ci étaient précédés de signaux d’alarme. « Souvent, dans les décès, les facteurs de risque ont été sous-estimés », expliquait début décembre Me Stéphanie Gamache, présidente par intérim du nouveau Comité d’examen des décès liés à la violence conjugale créé par le bureau du coroner.

Des voyants rouges, des « signes bien identifiab­les » — comme une séparation récente, une perte d’emprise sur la victime, du harcèlemen­t ou encore des antécédent­s de violence — qui doivent impérative­ment être mieux décelés pour faire diminuer le triste bilan des meurtres conjugaux, soulignait le comité lors du dépôt de son premier rapport.

Il concluait également à la nécessité d’un meilleur partage des informatio­ns confidenti­elles lorsque la sécurité de personnes est en jeu. Une recommanda­tion qui touche particuliè­rement Marie*, dont l’ex-conjoint violent a été condamné pour voies de fait à son endroit et à l’endroit de son enfant il y a quelques années. Depuis, l’homme a quitté le pays. Mais impossible pour Marie ou pour la DPJ d’être informées d’un éventuel retour au Canada du père.

« Je vis dans la crainte qu’il revienne. Je trouve ça horrible de nous laisser vivre dans cette anxiété et cette appréhensi­on, qu’on ne puisse pas être avisé quand une personne violente qui a porté atteinte à notre sécurité revient au pays », dénonce-t-elle. « Mes enfants vont à pied à l’école, il suffirait d’une fois qu’il soit dans le coin… et qu’il les prenne. »

Oreille plus attentive

Depuis plusieurs mois maintenant, la problémati­que de la violence conjugale bénéficie d’une oreille plus attentive à Québec. En moyenne dans la province, le quart des crimes contre la personne sont commis dans un contexte de violence conjugale. « Et on sait que tout ce qui concerne la violence conjugale est sousestimé », rappelle Claudine Thibaudeau.

En 2019-2020, soit avant le début de la pandémie, les 43 maisons d’hébergemen­t faisant partie du Regroupeme­nt des maisons pour femmes victimes de violence conjugale avaient réussi à héberger 2500 femmes, mais avaient dû refuser 3500 demandes. Pour déverrouil­ler ces portes closes, Québec s’était engagé en mars à débloquer 14 millions de dollars récurrents pour les maisons d’hébergemen­t. Des sommes non récurrente­s de 8,7 millions avaient également été ajoutées, détaille Louise Riendeau.

Une bouffée d’air, qui est toutefois loin de répondre aux besoins, notamment pour plus de lits, pour davantage de services externes ou encore pour contrer la pénurie de main-d’oeuvre qui frappe durement les maisons d’hébergemen­t, où les CISSS et les CIUSSS sont venus activement recruter du personnel depuis le début de la pandémie. « On aurait besoin de 38 millions pour les 110 maisons financées [qui comprennen­t également les ressources pour les femmes vivant en situation d’itinérance et pour celles souffrant d’enjeux de santé mentale]. »

Parallèlem­ent à cet effort financier, un vent encouragea­nt semble également souffler sur la recommanda­tion phare du rapport du Comité d’experts sur l’accompagne­ment des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, déposé lui aussi en décembre. Il y a deux semaines, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, annonçait la création d’un groupe de travail chargé d’examiner la possibilit­é de créer un tribunal spécialisé pour traiter les cas d’agressions sexuelles et de violence conjugale. Une demande, répétée au fil des années, qui permettrai­t d’améliorer le traitement des plaintes et l’accompagne­ment des victimes.

Mais aucun groupe de femmes ne siège à ce comité, formé de représenta­nts des ministères de la Justice et de la Sécurité publique, du Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP), de la Commission des services juridiques et de la Cour du Québec. « [Le ministre] veut vérifier pour l’instant si c’est possible administra­tivement d’aller de l’avant, soutient Louise Riendeau. Mais si c’est le cas, il faut à coup sûr que les groupes de femmes soient ensuite présents pour s’assurer que ce qui va être mis en place réponde réellement aux besoins de victimes. » Une possibilit­é que le ministre Jolin-Barrette « n’exclut pas », indique son attachée de presse.

Je vis dans la crainte qu’il revienne. Je trouve ça horrible de nous laisser vivre dans cette anxiété et cette appréhensi­on, qu’on ne puisse pas être avisé quand une personne violente qui a porté atteinte à notre sécurité »

revient au pays. MARIE*

* Un nom d’emprunt est utilisé pour protéger l’identité de la victime.

Si vous êtes victime de violence conjugale, vous pouvez contacter SOS Violence conjugale au 1 800 363-9010.

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