La Chine accusée de génocide par les élus canadiens, sauf les libéraux
Une motion conservatrice a été adoptée sans opposition à la Chambre des communes, mais aussi sans le concours des membres du gouvernement Trudeau
Les élus canadiens ont accusé la Chine, à l’unanimité, de perpétrer un génocide contre ses minorités musulmanes. Ce geste sans précédent s’est toutefois fait sans l’appui du gouvernement, puisque Justin Trudeau et tous ses ministres se sont abstenus de participer au vote. Une « grande déception », a déploré l’ancien ambassadeur du Canada en Chine David Mulroney.
La Chambre des communes était invitée lundi à reconnaître, à la demande du Parti conservateur, « qu’un génocide est actuellement perpétré par la République populaire de Chine contre les Ouïghours et d’autres musulmans turciques ». Cette motion a été adoptée à 266 voix sans aucune opposition. Conservateurs, bloquistes, néodémocrates et verts l’ont tous appuyée, comme tous les libéraux qui se sont prononcés. Le ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, a toutefois pris la parole, durant le vote, pour noter son abstention — plutôt que de simplement ne pas voter. Ce faisant, il a affirmé qu’il le faisait « au nom du gouvernement du Canada ».
« C’est une occasion manquée pour le premier ministre de faire preuve de leadership et de démontrer qu’il comprend la nature terrible de ce qui se passe dans la province du Xinjiang », a critiqué l’ancien ambassadeur en Chine David Mulroney (2009 à 2012). « Le Canada est toujours très bon pour reconnaître les génocides qui se sont déroulés dans le passé. Nous voyons toujours les génocides dans le rétroviseur, versons une larme et nous déclarons désolés. Mais nous ne semblons jamais capables de les confronter lorsqu’ils se produisent », a-t-il dénoncé en entretien avec Le Devoir.
Le Canada est ainsi devenu le premier pays à voir son assemblée législative condamner le génocide commis en Chine. La motion conservatrice n’est toutefois pas contraignante, et le gouvernement n’est pas obligé d’adopter officiellement cette position.
Les secrétaires d’État américains Mike Pompeo — sous Donald Trump — et Antony Blinken — sous Joe Biden — se sont prononcés eux aussi en ce sens.
Mais le président Biden n’a pas réitéré publiquement cette position.
Le gouvernement canadien préférerait s’entendre avec des alliés pour faire pression sur Pékin de façon multilatérale. « On prend les allégations de génocide très au sérieux et on travaille avec nos partenaires internationaux sur ce dossier extrêmement important », a fait valoir le ministre Garneau aux Communes, peu avant le vote. Le premier ministre tenait le même discours vendredi dernier.
L’ambassadeur de Chine au Canada, Cong Peiwu, prévenait justement samedi avant le vote que le régime ne tolérerait pas une telle « ingérence dans les affaires internes de la Chine ». L’ambassadeur sommait le Canada de retirer cette motion « afin de ne pas causer davantage de torts à la relation Canada-Chine ».
Ottawa accusé de traîner les pieds
Mais si Ottawa plaide vouloir rassembler une coalition internationale, rien ne l’empêchait de s’y mettre plus tôt puisque ce génocide a débuté il y a deux ans, rétorque David Mulroney. « C’est une occasion manquée. »
L’ancien ambassadeur croit que le gouvernement canadien hésite plutôt parce qu’il est conscient qu’un tel blâme à l’endroit de Pékin le forcerait à revoir toute sa politique étrangère avec la Chine. Un travail colossal et complexe.
Le sort des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, détenus arbitrairement en Chine depuis décembre 2018, pèse aussi dans la balance. Mais ce n’est pas une raison pour se laisser museler, souligne M. Mulroney. « Si nous restons muets face à ces atrocités, nous confirmons la validité de la diplomatie par prise d’otages [que mène la Chine]. »
Un avis partagé par le chef conservateur, Erin O’Toole, qui a fait valoir que la détention des deux Michael démontre justement les risques que pose la Chine. « Mais cela ne devrait pas nous dissuader de faire ce qui est juste », a-t-il répliqué.
Un amendement du Bloc québécois à sa motion a en outre été adopté, pour réclamer aussi que les Jeux olympiques de 2022 ne se tiennent pas en Chine comme prévu.
Les partis d’opposition ne sont pas les premiers à faire pression sur le gouvernement canadien. Un sous-comité parlementaire a conclu, à l’automne, que le traitement des Ouïghours constituait un génocide. L’ancien ministre libéral Irwin Cotler, qui est aujourd’hui conseiller du gouvernement pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste, a tiré la même conclusion.
La Convention sur le génocide des Nations unies oblige cependant ses États signataires à punir de tels actes s’ils sont mis au jour.
Une femme ouïghoure a témoigné, aux côtés des conservateurs en matinée, des atrocités commises contre ses compatriotes. Kalbinur Tursun a rapporté, avec l’aide d’un traducteur, que les Ouïghours étaient torturés, battus, insultés, traités « comme des chiens ». Les femmes, comme elle, stérilisées de force. « Ce n’était pas assez de voir les Ouïghours souffrir, ils voulaient les voir mourir aussitôt que possible », a-t-elle relaté, la voix étreinte par l’émotion par moments.
Le Canada est toujours très bon pour reconnaître les génocides qui se sont déroulés dans le passé. Nous voyons toujours les génocides dans le rétroviseur, versons une larme et nous déclarons désolés. Mais nous ne semblons jamais capables de les confronter lorsqu’ils »
se produisent.
DAVID MULRONEY