Le Devoir

Place, de nouveau, à la collaborat­ion entre le Canada et les États-Unis

- RENCONTRE TRUDEAU-BIDEN MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Les visages étaient tout sourire, derrière les masques. Le ton était amical. La première rencontre entre Joe Biden et Justin Trudeau a lancé le renouveau de la relation canado-américaine. Ottawa et Washington ont convenu de collaborer sur plusieurs fronts, notamment sur la lutte contre les changement­s climatique­s. Mais un mois à peine après l’arrivée au pouvoir du nouveau président américain, les discussion­s entourant certains sujets délicats en sont restées au stade préliminai­re.

Le premier ministre et le président américain se sont rencontrés pendant deux heures mardi, accompagné­s d’une douzaine de leurs ministres ou secrétaire­s. Bien que M. Biden et Justin Trudeau aient déjà collaboré, lorsque le premier était vice-président, la vice-présidente Kamala Harris, les secrétaire­s et les ministres des principaux portefeuil­les n’avaient pas encore fait connaissan­ce.

Dès le début de la réunion, à laquelle les caméras avaient été conviées quelques minutes, l’ambiance était toute autre que lors de rencontres précédente­s entre Justin Trudeau et Donald Trump.

Une telle rencontre — même virtuelle — est importante, insiste l’ancien

Les Américains ont leurs intérêts à défendre et la relation la plus compliquée à gérer pour M. Biden au cours des prochaines années sera

» celle avec la Chine

RAYMOND CHRÉTIEN

ambassadeu­r du Canada aux États-Unis Raymond Chrétien. « À Washington, il y a 195 pays de la planète qui se battent pour avoir un tout petit bout d’accès auprès des grands décideurs américains. Là, on les a tous autour de la table pendant deux heures. » Jeter les ponts d’une relation bilatérale permet ensuite de prendre le téléphone pour « régler les différends qui se posent ou identifier les zones de coopératio­n », souligne-t-il.

Eric Miller, un expert des relations canado-américaine­s, note lui aussi que le fait que Joe Biden ait respecté la tradition de tenir sa première rencontre bilatérale d’envergure avec le Canada démontre l’importance qu’il accorde à la relation entre les deux pays. Un « signal important », qui offre au Canada « l’opportunit­é de mettre ses priorités sur la table ».

Ni l’un ni l’autre ne s’attendaien­t cependant à ce que les grandes questions soient réglées dès ces premiers pourparler­s, puisque le gouverneme­nt Biden vient d’entrer en poste. La rencontre servirait plutôt à jeter les bases de ces discussion­s pour la suite en fixant des objectifs de collaborat­ion.

Champs de coopératio­n

Les deux pays ont justement dévoilé une « feuille de route pour le partenaria­t

Canada–États-Unis ». Celle-ci prévoit qu’Ottawa et Washington coopèrent pour combattre la COVID-19 ; défendre la diversité ; promouvoir le multilatér­alisme et les alliances internatio­nales ; renforcer les alliances de défense comme l’OTAN et le NORAD, qui défend l’espace aérien nord-américain ; et accélérer leur lutte contre les changement­s climatique­s.

Sur ce front, un « dialogue ministérie­l » a été lancé pour plancher sur des cibles plus ambitieuse­s, accroître les liens énergétiqu­es entre les pays et collaborer pour atteindre la carboneutr­alité en 2050. La première rencontre des responsabl­es canadien et américain est prévue dès ce mercredi.

Les deux dirigeants ont également défendu l’importance de protéger leurs chaînes d’approvisio­nnement, de même que de prévoir une sortie de crise de la COVID-19 avec un plan pour « une relance économique durable et inclusive ».

Dans l’immédiat, le Canada n’a toutefois pas réussi à soutirer des vaccins produits aux États-Unis. L’attachée de presse de la Maison-Blanche, Jen Psaki, avait prévenu mardi midi que « la priorité du président est de vacciner chaque Américain ».

Joe Biden a promis d’en vacciner 100 millions dans les 100 premiers jours de sa présidence. Les États-Unis ont franchi lundi le cap des 500 000 morts. Le président « se ferait crucifier s’il acheminait des vaccins pour aider le Canada à vacciner sa population plus rapidement », résume Eric Miller, qui dirige la firme de relations gouverneme­ntales Rideau Potomac à Washington.

Bien au fait de la position américaine, le Canada ne comptait d’ailleurs pas présenter de nouvelle demande en ce sens — s’étant déjà vu refuser la première.

La réouvertur­e éventuelle de la frontière n’a pas été abordée par les dirigeants dans leur déclaratio­n télévisée.

Les motifs d’irritation demeurent

Les visées protection­nistes de Joe Biden n’ont en outre pas été résolues. Le gouverneme­nt américain est au courant des demandes d’exemption du Canada et le président s’est engagé à consulter le premier ministre. La Maison-Blanche « évalue encore l’applicatio­n de ce décret exécutif et de quelle façon il sera appliqué », a affirmé l’attachée Jen Psaki.

Ces discussion­s demeurent de toute façon préliminai­res, remarque M. Chrétien, puisque l’ambitieux plan de relance de Joe Biden n’a pas encore été adopté et encore moins mis en oeuvre. « C’est quand il y aura des contrats publics qui excluent les soumission­s de pays étrangers que le Buy American posera problème. »

Le Canada souhaitera­it en outre que l’administra­tion Biden lui vienne en aide dans le dossier de la Chine et des Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig, qui y sont détenus depuis plus de deux ans.

À ce sujet, Joe Biden a de nouveau dénoncé la détention arbitraire des deux hommes. « Des êtres humains ne sont pas une monnaie de marchandag­e », a-t-il tranché.

Eric Miller croit que les discussion­s ont probableme­nt débuté en vue de trouver une issue. Mais que cette sortie de crise prendra du temps, afin d’éviter « que quiconque ne perde la face et de naviguer parmi les questions juridiques ».

Raymond Chrétien souligne en outre que, bien que l’administra­tion Biden soit plus disposée que Donald Trump à aider la cause canadienne, « les Américains ont leurs intérêts à défendre et la relation la plus compliquée à gérer pour M. Biden au cours des prochaines années sera celle avec la Chine ».

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