Le Devoir

Toujours un fil qui pend

- MANON CORNELLIER mcornellie­r@ledevoir.com

En écoutant les bulletins de nouvelles, dimanche, il était impossible de ne pas sentir l’inquiétude, sinon la panique, des voyageurs se préparant à revenir au Canada lundi. Ils devaient trouver une chambre dans un des hôtels désignés par le gouverneme­nt fédéral afin de passer les trois premiers jours de leur quarantain­e obligatoir­e. Un véritable parcours du combattant, les lignes téléphoniq­ues du service de réservatio­n étant sans cesse engorgées.

L’achalandag­e des premiers jours était inévitable, mais le gouverneme­nt ne semble pas l’avoir prévu. Malgré cela, les ministres répétaient encore mardi que les personnes sans réservatio­n pourraient être passibles d’une amende même si elles avaient tenté en vain pendant des heures de joindre le service en question. Leur seul espoir reposerait sur la possible compréhens­ion de l’agent des services frontalier­s qui est autorisé à exercer sa discrétion à cet égard.

« C’est pas des politicien­s qui devront décider ces questions-là », a lancé en conférence de presse mardi le président du Conseil privé, Dominic Leblanc. Le hic est que ces décrets ont été adoptés par le conseil des ministres, que le cabinet dont M. Leblanc fait partie est composé d’élus, donc de politicien­s, et que c’est le gouverneme­nt qui décide de la portée des pouvoirs des agents.

En Chambre, le leader du gouverneme­nt Pablo Rodriguez s’est moqué du Bloc québécois qui demandait, à travers son député Alain Therrien, « ce que le gouverneme­nt a fait depuis [lundi] pour changer la situation ». M. Rodriguez a, un peu plus tard, affirmé sans rire que « le gouverneme­nt a planifié, depuis des mois, le retour des voyageurs, le fait de limiter les vols vers le sud, les réservatio­ns d’hôtels, les capacités de transfert des voyageurs et les tests au retour ».

Depuis des mois ? Voilà une réponse qui fait sursauter. Oui, le gouverneme­nt dit depuis des mois qu’il vaut mieux ne pas voyager. Et oui, on parle ici de personnes qui ont voyagé pour des raisons jugées non essentiell­es. Elles ne reviennent pas toutes des plages du Sud. Certaines ont été rendre visite à un parent malade, ont perdu un emploi à l’étranger ou y ont terminé des études. Mais peu importe leurs motifs, elles ne se soustraien­t pas à leurs obligation­s, mais sont simplement incapables de les respecter à cause des moyens insuffisan­ts mis en place par le gouverneme­nt.

Rien ne justifie ce cafouillis. Nous ne sommes plus en début de pandémie. L’urgence d’agir et le caractère inusité de la crise pouvaient alors expliquer les faux pas, hésitation­s et erreurs, mais ce serait abusif d’invoquer ces raisons maintenant. Tout ce qui était proposé par les provinces et qui a finalement été mis en oeuvre ces dernières semaines se faisait ailleurs d’une manière ou d’une autre. Le gouverneme­nt a eu le temps d’examiner ces expérience­s, d’en tirer des leçons pour les adapter au contexte canadien.

Professeur­e à l’Université d’Ottawa, spécialist­e en administra­tion publique, Geneviève Tellier comprend mal ce dernier cafouillag­e. Selon elle, l’arrivée de la seconde vague, qui était par ailleurs plus vigoureuse que prévu, aurait dû inciter la machine gouverneme­ntale à soupeser la faisabilit­é de différents scénarios.

Depuis un an, le gouverneme­nt Trudeau fait preuve de déterminat­ion pour venir en aide aux Canadiens et aux entreprise­s. Il se démène pour approvisio­nner les provinces en matériel de protection, en tests rapides et, malgré les critiques, en vaccins. Mais ce qui frappe aussi est son ambivalenc­e à agir quand il est question des frontières. Il hésite, tergiverse pour ensuite plonger sans avoir tout prévu.

La fermeture des frontières terrestres s’est généraleme­nt bien passée, mais il a fallu un tollé pour que l’interdicti­on d’entrée des touristes étrangers soit annoncée à la mi-mars 2020. Il en a fallu un autre, en particulie­r à Montréal, pour qu’une semaine plus tard, le fédéral rende finalement obligatoir­e la quarantain­e de 14 jours imposée aux Canadiens et aux résidents permanents toujours autorisés à aller et venir par voie aérienne. Mais des questions ont vite surgi et persistent encore au sujet du respect et de la surveillan­ce de cette quarantain­e.

Durant le temps des Fêtes, l’insoucianc­e des plaisancie­rs et l’arrivée des variants ont provoqué de nouveaux appels en faveur de tests de dépistage avant l’embarqueme­nt pour le vol de retour. Le premier ministre François Legault demandait aussi qu’on interdise les voyages non essentiels ou, au moins, qu’on impose une quarantain­e obligatoir­e dans des hôtels désignés et surveillés par Ottawa.

Là encore, le gouverneme­nt fédéral a hésité pour finalement céder début janvier au sujet du test de dépistage avant l’embarqueme­nt et, à la fin janvier, en annonçant l’imposition future d’une quarantain­e à l’hôtel aux frais du voyageur, le temps d’obtenir le résultat d’un test fait à l’arrivée. C’est cette mesure qui est entrée en vigueur lundi.

La gestion des frontières internatio­nales relève du gouverneme­nt fédéral. Il ne pourra éviter la répétition de ses ratés s’il en nie l’existence. Avant de faire la leçon aux autres, il devrait éventuelle­ment tirer celles, bonnes et mauvaises, de ses propres expérience­s.

Rien ne justifie ce cafouillis. Nous ne sommes plus en début de pandémie. L’urgence d’agir et le caractère inusité de la crise pouvaient alors expliquer les faux pas, hésitation­s et erreurs, mais ce serait abusif d’invoquer ces raisons maintenant.

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