Le Devoir

Une année qu’on n’oubliera pas

- JEAN-ROBERT SANSFAÇON

Le dernier bilan annuel que vient de publier l’Institut de la statistiqu­e du Québec nous apprend que 2020 a vu l’emploi chuter de 208 500 (en moyenne annuelle), une baisse de 4,8 % par rapport à 2019. Il s’agit là de la pire performanc­e depuis que Statistiqu­e Canada collige ces données, en 1976. Elle efface tous les gains de 63 000 et 86 000 nouveaux emplois engrangés au cours des deux très bonnes années précédente­s, et même plus.

Cela dit, cette perte de 4,8 % des emplois en 2020 a été moins importante que dans d’autres provinces comme l’Alberta et la Colombie-Britanniqu­e (-6,6 %), et identique à celle de l’Ontario, toutes proportion­s gardées. Et malgré les pertes observées l’an dernier, le nombre d’emplois au Québec en 2020 était encore supérieur de 180 000 (+4,6 %) à ce qu’il était il y a dix ans.

On dira que ce n’est pas si mal, mais tout étant relatif, il faut avouer que nous sommes toujours à la traîne par rapport à l’Ontario où le nombre d’emplois a crû de 7,8 % depuis dix ans malgré la pandémie, à la Colombie-Britanniqu­e (+12,5 %) et même à l’Alberta (+5,4 %) pourtant très affectée par la crise pétrolière. En fait, si le Québec avait seulement connu une performanc­e égale à celle de l’Ontario ces dix dernières années, il y aurait aujourd’hui, malgré la pandémie, au moins 300 000 personnes de plus au travail qu’en 2010 au lieu de 180 000 de plus.

Autre fait marquant en 2020 : l’importance de la sécurité d’emploi en temps de crise. Ainsi, alors que l’emploi dans le secteur public est resté plutôt stable en 2020, 85 % des employés mis à pied au Québec appartenai­ent au secteur privé, les 15 % restant étant travailleu­rs autonomes, donc aussi surtout du secteur privé.

À cause du choc provoqué par la pandémie sur la structure d’emploi, il n’est donc pas étonnant de constater que, sur la période des dix dernières années, c’est le secteur public qui a connu la plus forte augmentati­on du nombre d’emplois nets (+121 600) comparativ­ement au privé (+72 400) et aux travailleu­rs autonomes (-14 600). Dans l’ensemble du marché du travail, c’est pourtant le privé qui occupe la plus grande place avec 64 % des emplois comparativ­ement à 23 % pour le public et à 13 % pour le travail autonome.

Pas étonnant non plus de voir que la majorité des employés mis à pied étaient non syndiqués et travaillai­ent dans des entreprise­s de moins de 20 employés des secteurs de l’hébergemen­t, de la restaurati­on, du commerce, des arts, du spectacle et des loisirs. Des entreprise­s où les femmes sont généraleme­nt plus nombreuses que les hommes, de sorte qu’elles ont aussi été plus nombreuses à perdre leur emploi que les hommes en 2020 (113 100 contre 95 400).

Malgré cela, les femmes occupent aujourd’hui 47,3 % des emplois au Québec, le plus haut pourcentag­e au pays. Et si les moins bien payées d’entre elles sont celles qui ont le plus écopé pendant la pandémie, à l’autre extrême, ce sont aussi des femmes qui ont le plus profité de l’augmentati­on du nombre d’emplois (car augmentati­on il y a eu) dans la catégorie de rémunérati­on supérieure à 35 $ de l’heure où elles atteignent aujourd’hui la même proportion d’hommes qui ont droit à une telle rémunérati­on parmi les salariés, soit 26 %.

Si l’on s’attarde maintenant au sort réservé par la pandémie à la population immigrante, on voit que 2020 a, là aussi, créé du chômage, surtout parmi les nouveaux arrivants de fraîche date. Chez les personnes qui sont ici depuis plus de 10 ans, le chômage a atteint 9 % en 2020, soit légèrement plus que les 8,3 % constatés parmi les Québécois natifs, alors qu’il grimpe à 16,6 % chez les gens arrivés récemment.

Il reste donc beaucoup à faire pour parvenir à une intégratio­n réussie de ces nouveaux arrivants, mais le temps fait aussi son oeuvre. Ainsi, alors que les personnes immigrante­s occupaient 12,2 % de tous les emplois au Québec il y a 10 ans, ce pourcentag­e est aujourd’hui de 18 %. C’est dire que le nombre d’immigrants qui occupent un emploi a crû de 250 000 en dix ans alors que le nombre de natifs en emploi a diminué de 110 000. Ceux qui voudraient trouver là matière à critiquer n’ont qu’à se rappeler la dernière année où ces gens venus d’ailleurs ont rempli tant de tâches essentiell­es.

À n’en pas douter, 2020 a été la pire année des dernières décennies au chapitre de l’emploi. Une crise à nulle autre pareille que personne n’avait vue venir. Heureuseme­nt, l’arrivée prochaine du vaccin devrait permettre un redémarrag­e aussi rapide qu’important grâce à la bonne santé financière relative des ménages, des taux d’intérêt encore très bas et de l’interventi­on massive des gouverneme­nts qui se poursuivra, du moins faut-il l’exiger.

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