Le Devoir

À quand l’autodafé ?

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Paradoxale­ment sadique, le bel autodafé que menace la cancel culture se vouerait à la censure de Sade pour assurer un safe space. D’ailleurs, il semble que l’idée même d’un safe space est de cloisonner, de se refermer sur l’identique plutôt que de s’ouvrir à la rencontre de l’autre. L’emprisonne­ment provoqué par cette idéologie empêche la distance critique nécessaire au dialogue : déjà au pied du mur, tout devient menace, liberté incluse.

Pourtant, la liberté d’expression et la liberté pédagogiqu­e sont non seulement une parole libérée, mais une parole libératric­e, car ce n’est que par elles que se forme la pensée critique et, corollaire­ment, s’ensuivent l’affranchis­sement et l’émancipati­on. De taire lesdites libertés pour calmer ou apaiser remédie peut-être aux blessures, mais le remède ne guérit pas : il n’est qu’artifice, voire paradis artificiel.

L’utopie du safe space est dès lors un non-lieu à juste titre, une serre chaude où la stérilité est suffocante. Si une rose a des épines, c’est parce que la vie n’est pas « sécuritair­e » ; elle a appris à se protéger des tigres. Quant à elles, les université­s libres sont un lieu de floraison, car elles aiguisent les épines de la raison. Mais la cancel culture n’est pas une culture des fleurs. À rebours, elle les enferme sous le verre pour qu’elles déchoient au soleil devenu leur bûcher. La censure plane audessus de nos établissem­ents scolaires et universita­ires comme une cloche, et son glas sonne l’autodafé. Daniel Sigouin

Le 16 février 2021

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