L’université, lieu de pouvoir et de contre-pouvoir
Les événements récents faisant état de cas censure à l’université ont soulevé, avec raison, la colère et l’indignation de bien des gens, nous rappelant l’importance de protéger la liberté d’enseignement au sein d’une institution vouée à la recherche de la vérité, à la production du savoir et à la transmission des connaissances.
Cette vision quelque peu idyllique de l’université, qui semble encore largement partagée, correspond de moins en moins à ce que devient cette institution, qui est depuis nombre d’années travaillée et minée dans ses fondements par l’irruption des études postcoloniales et dont la pratique de la censure n’est que le symptôme le plus apparent.
Le problème va bien au-delà d’une minorité d’étudiants radicaux et il est bien plus profond qu’on ne le croit puisqu’il correspond à un changement radical de paradigme sur lequel repose l’enseignement universitaire.
La vérité n’existe pas
C’est l’un des principaux postulats de la pensée moderne qui caractérise les études postcoloniales. Il n’y a plus de vérité, rien que des interprétations. La recherche de la vérité suppose que chaque chose possède une essence, une nature propre que l’on va découvrir progressivement et que ces vérités seront universelles et intemporelles, c’est-à-dire qu’elles seront vraies partout et en tout temps.
Or, cette conception de la vérité, qui nous a été donnée par la science classique et qui fut reprise par les penseurs des Lumières, est aujourd’hui mise à mal par le courant postcolonial pour lequel il n’y a plus de vérité, plus de savoir neutre, objectif et universel, plus de normes communes neutres ou naturelles, mais rien que des interprétations qui s’affrontent et pour lesquelles chaque énoncé devient un exercice politique.
Ainsi, le savoir se transforme en pouvoir et la raison est supplantée par la volonté de dominer. Vous aurez compris qu’ici nous avons quitté le champ de la connaissance et de l’épistémologie pour celui de la politique et de l’idéologie.
La pensée postcoloniale, qui nous vient des universités américaines, puise ses racines intellectuelles chez les penseurs de la French Theory, tel Michel Foucault, dont l’influence est immense. Réfutant toute ontologie, ce dernier avance qu’il n’y a rien qui soit pourvu d’une essence ou d’une nature quelconque qui existerait en dehors de l’histoire et que le normal et l’anormal s’expliquerait par des mécanismes de domination à une époque donnée. Ainsi la normalité serait fabriquée dans l’intérêt des structures de pouvoir.
Voilà pourquoi, dans la pensée postcoloniale, le savoir universel devient un savoir particulier, un savoir qui se fait passer pour neutre alors qu’il est le reflet d’une culture hégémonique majoritaire. Un savoir dominant, blanc, mâle, hétérosexuel qui, par le regard qu’il porte sur l’autre, le constitue en dominé. Voilà pourquoi le recteur Frémont disait que « les membres des groupes dominants n’ont pas la légitimité pour décider de ce qui constitue une micro-agression ».
Et voilà pourquoi on interdit aux Blancs de jouer des rôles d’Autochtones comme dans Kanata. Parce que le dominant projette une image du dominé et que, comme le disaient Franz Fanon et Albert Memmi, le colonisateur renvoie aux colonisés le portrait du colonisé. Justin Trudeau appelle cela les préjugés inconscients du racisme systémique.
Ce courant postcolonial va donc faire de l’identité le surdéterminant dans l’analyse d’une question et déboucher nécessairement sur une politique des identités.
Décoloniser le savoir dominant
La pensée postcoloniale a un objectif bien précis qui n’a rien à voir avec la connaissance ou la recherche de la vérité. Il ne s’agit plus de connaître le monde, mais bien de le transformer. Ce qui importe ici ce n’est pas de débattre ni d’argumenter pour convaincre, mais plutôt d’imposer son point de vue pour reformater les esprits. Neutraliser et mettre en échec le savoir dominant, voilà l’objectif politique inavoué.
De quelle façon ? En exigeant la censure de certains mots ou titres de livres prononcés dans un cadre scolaire. En demandant le retrait de certaines oeuvres à l’étude. En demandant le renvoi des professeurs qui refusent de se censurer. En remettant en question le corpus universitaire classique. En déboulonnant des statues. En pratiquant la cancel culture qui force l’expulsion du débat public de ceux que l’on veut faire taire. En refusant aux Blancs toute légitimité pour parler des minorités. En accusant des artistes d’appropriation culturelle. En pratiquant le lynchage en meute sur les réseaux sociaux, insultant et accusant de racisme quiconque ne souscrit pas au credo de la pensée postcoloniale.
Ces stratégies d’intimidation sont d’une violence inouïe et portent un ambitieux projet de réingénierie sociale qui n’épargne aucun domaine ; l’histoire, la littérature, les arts, la philosophie, la sociologie, la science politique, les études féministes et l’anthropologie étant les disciplines les plus contaminées. Et c’est sans compter les médias, les partis politiques, les syndicats, le milieu féministe, le milieu culturel et même juridique.
Cette tendance est lourde et déjà bien installée dans des lieux de pouvoir. Elle ne disparaîtra pas et ira en s’accentuant. On peut s’attendre à ce que l’université qui forme l’élite de demain devienne un champ de bataille où l’ensemble des savoirs, même les sciences dures, n’échapperont pas à ce courant de décolonisation. Vous en doutez ?
Il existe à l’Université Concordia un projet de recherche « Decolonizing Light » qui étudie la reproduction du colonialisme dans et à travers la physique contemporaine et dans l’enseignement supérieur de la physique. Allez-y voir !
Il ne s’agit plus de connaître le monde, mais bien de le transformer. Ce qui importe ici, ce n’est pas de débattre ni d’argumenter pour convaincre, mais plutôt d’imposer son point de vue pour reformater les esprits.