Le Devoir

Le « saint Patrick » d’Alfred Pellan doit être conservé

Qu’est-ce qui détermine la valeur des oeuvres et ce qui doit être préservé ?

- Lysandra Denis-Breault et Louis-Philippe Savard Respective­ment conceptric­e de costumes et bachelière ès arts, UQAM ; scénograph­e et étudiant au baccalauré­at en histoire de l’art et arts plastiques, Université Concordia

À la lecture des récents articles sur les intentions de la Ville de Granby de se départir de la mosaïque du saint Patrick de Pellan, une oeuvre faisant partie du visage de la ville depuis des décennies, nous avons été étonnés de la décision de la Ville de ne pas assumer sa restaurati­on et d’opter plutôt pour sa vente ou sa démolition.

Nous n’avons pas la prétention ni l’expertise pour déterminer la valeur du saint Patrick d’Alfred Pellan. Pourtant, ce dernier est sans contredit une figure majeure de l’art canadien moderne. Alors, qu’est-ce qui détermine la valeur des oeuvres et ce qui doit ou ne doit pas être préservé ? Peut-on réellement avoir sauvé assez de patrimoine comme le suggère le maire Bonin ? En tant que citoyens, nous avons malheureus­ement trop souvent l’impression qu’il n’existe pas de cadre défini en ce qui concerne la préservati­on de l’art et des monuments d’art public, au Québec.

Pire, la propension de certains élus municipaux à vouloir déterminer ce qui mérite d’être conservé ou pas nous semble provenir d’un jugement de valeur, peut-être basé sur l’incompréhe­nsion du travail des artistes, qui ont toujours travaillé entourés d’équipes, d’apprentis et d’assistants pour réaliser leurs oeuvres. Suivant cette logique, nous pouvons nous questionne­r sur l’avenir de la murale de l’Immaculée Conception (cégep de Granby) dans quelques années, elle aussi de Pellan, mais réalisée dans les ateliers de Jacques Garnier en 1960.

Mémoire collective

Bien qu’on ne puisse nier l’appartenan­ce de cette représenta­tion du saint patron au catholicis­me, cette oeuvre demeure un témoignage de notre histoire en tant que ville multiconfe­ssionnelle. Que son caractère religieux présente un obstacle à sa relocalisa­tion nous semble incohérent avec le discours généraleme­nt soutenu par les institutio­ns, soit que le patrimoine religieux (les églises, par exemple) fait partie intégrante du paysage et de l’histoire de Granby. Cette mosaïque nous propose un exercice de mémoire collective. Elle raconte la présence d’une importante communauté catholique irlandaise au milieu du XXe siècle qui a façonné son visage à la ville que nous connaisson­s aujourd’hui.

On a pu assister ces dernières années à la destructio­n de plusieurs bâtiments patrimonia­ux, au Québec. D’ailleurs, l’historien de l’art Laurier Lacroix mentionnai­t dernièreme­nt à Jean-François Nadeau, dans Le Devoir, que le patrimoine moderne n’était pas suffisamme­nt valorisé au Québec. Ces exemples témoignent tristement d’un désintérêt des politicien­s et de la population à protéger les monuments historique­s et d’un manque de vision urbanistiq­ue de la part des villes en général, dans laquelle la conservati­on du patrimoine serait non seulement importante, mais primordial­e. Ce qu’on décrit comme un défi d’une « difficulté extrême » ne cacherait-il pas plutôt un manque de volonté de conserver des traces culturelle­s de notre histoire ?

Rhétorique financière

Enfin, que cette mosaïque soit majeure ou non, nous croyons que la valeur que nous accordons aux oeuvres qui témoignent de notre histoire correspond à la valeur même qu’on accorde à cette histoire qui nous distingue, comme nation. Ces décisions, selon toute vraisembla­nce, semblent basées sur une rhétorique financière voulant que la conservati­on de notre histoire soit disproport­ionnelleme­nt coûteuse. Cette question entourant la vente de la mosaïque de Pellan n’est qu’un symptôme d’un enjeu beaucoup plus vaste. Cela nous indique une propension généralisé­e à démolir plutôt qu’à conserver, à opter pour la facilité plutôt que de chercher une solution pérenne. Préférons-nous voir les paysages singuliers de nos villes disparaîtr­e au profit d’une architectu­re uniformisé­e, préfabriqu­ée et qui, de surcroît, sera démodée dans 30 ans ?

Ce qu’on décrit comme un défi d’une « difficulté extrême » ne cacherait-il pas plutôt un manque de volonté de conserver des traces culturelle­s de notre histoire ?

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