Le « saint Patrick » d’Alfred Pellan doit être conservé
Qu’est-ce qui détermine la valeur des oeuvres et ce qui doit être préservé ?
À la lecture des récents articles sur les intentions de la Ville de Granby de se départir de la mosaïque du saint Patrick de Pellan, une oeuvre faisant partie du visage de la ville depuis des décennies, nous avons été étonnés de la décision de la Ville de ne pas assumer sa restauration et d’opter plutôt pour sa vente ou sa démolition.
Nous n’avons pas la prétention ni l’expertise pour déterminer la valeur du saint Patrick d’Alfred Pellan. Pourtant, ce dernier est sans contredit une figure majeure de l’art canadien moderne. Alors, qu’est-ce qui détermine la valeur des oeuvres et ce qui doit ou ne doit pas être préservé ? Peut-on réellement avoir sauvé assez de patrimoine comme le suggère le maire Bonin ? En tant que citoyens, nous avons malheureusement trop souvent l’impression qu’il n’existe pas de cadre défini en ce qui concerne la préservation de l’art et des monuments d’art public, au Québec.
Pire, la propension de certains élus municipaux à vouloir déterminer ce qui mérite d’être conservé ou pas nous semble provenir d’un jugement de valeur, peut-être basé sur l’incompréhension du travail des artistes, qui ont toujours travaillé entourés d’équipes, d’apprentis et d’assistants pour réaliser leurs oeuvres. Suivant cette logique, nous pouvons nous questionner sur l’avenir de la murale de l’Immaculée Conception (cégep de Granby) dans quelques années, elle aussi de Pellan, mais réalisée dans les ateliers de Jacques Garnier en 1960.
Mémoire collective
Bien qu’on ne puisse nier l’appartenance de cette représentation du saint patron au catholicisme, cette oeuvre demeure un témoignage de notre histoire en tant que ville multiconfessionnelle. Que son caractère religieux présente un obstacle à sa relocalisation nous semble incohérent avec le discours généralement soutenu par les institutions, soit que le patrimoine religieux (les églises, par exemple) fait partie intégrante du paysage et de l’histoire de Granby. Cette mosaïque nous propose un exercice de mémoire collective. Elle raconte la présence d’une importante communauté catholique irlandaise au milieu du XXe siècle qui a façonné son visage à la ville que nous connaissons aujourd’hui.
On a pu assister ces dernières années à la destruction de plusieurs bâtiments patrimoniaux, au Québec. D’ailleurs, l’historien de l’art Laurier Lacroix mentionnait dernièrement à Jean-François Nadeau, dans Le Devoir, que le patrimoine moderne n’était pas suffisamment valorisé au Québec. Ces exemples témoignent tristement d’un désintérêt des politiciens et de la population à protéger les monuments historiques et d’un manque de vision urbanistique de la part des villes en général, dans laquelle la conservation du patrimoine serait non seulement importante, mais primordiale. Ce qu’on décrit comme un défi d’une « difficulté extrême » ne cacherait-il pas plutôt un manque de volonté de conserver des traces culturelles de notre histoire ?
Rhétorique financière
Enfin, que cette mosaïque soit majeure ou non, nous croyons que la valeur que nous accordons aux oeuvres qui témoignent de notre histoire correspond à la valeur même qu’on accorde à cette histoire qui nous distingue, comme nation. Ces décisions, selon toute vraisemblance, semblent basées sur une rhétorique financière voulant que la conservation de notre histoire soit disproportionnellement coûteuse. Cette question entourant la vente de la mosaïque de Pellan n’est qu’un symptôme d’un enjeu beaucoup plus vaste. Cela nous indique une propension généralisée à démolir plutôt qu’à conserver, à opter pour la facilité plutôt que de chercher une solution pérenne. Préférons-nous voir les paysages singuliers de nos villes disparaître au profit d’une architecture uniformisée, préfabriquée et qui, de surcroît, sera démodée dans 30 ans ?
Ce qu’on décrit comme un défi d’une « difficulté extrême » ne cacherait-il pas plutôt un manque de volonté de conserver des traces culturelles de notre histoire ?