Clubhouse, communauté convoitée
Lancée il y a à peine un an, l’application à l’accès exclusif compte déjà six millions d’utilisateurs
Clubhouse, c’est le nouveau réseau social tendance, lancé en mars 2020 en plein coeur de la pandémie par Paul Davison et Rohan Seth de la Silicon Valley. Près d’un an après son lancement, l’application compte déjà 6 millions d’utilisateurs parmi lesquels Oprah Winfrey, Drake et Elon Musk, et commence à faire des adeptes au Québec. Le Devoir est allé à la rencontre d’utilisateurs pour comprendre l’attrait envers la plateforme.
Mais d’abord, qu’est-ce que ce réseau a de différent par rapport aux autres ? L’application, qui génère de plus en plus d’intérêt, prend la forme de salons de discussion audio — des rooms — où les utilisateurs peuvent écouter des conférences en direct, et s’ils le veulent, y participer également.
Si le nombre d’utilisateurs a grimpé à une vitesse fulgurante dans les dernières semaines, de 200 000 en décembre dernier à 6 millions ce mois-ci, l’accès à l’application demeure exclusif. Pour activer son profil, il faut avoir été invité à rejoindre l’application par un membre existant et… posséder un iPhone puisque l’application n’est pas (encore) disponible sur Androïd.
La jeune entreprise planche toutefois sur le développement d’une version de son application adaptée pour le système d’exploitation mobile populaire créé par Google.
Salons populaires, mais passifs ?
Philippe Nadeau, directeur général de l’incubateur numérique DigiHub Shawinigan, fait partie des nouveaux utilisateurs à s’être inscrits il y a seulement deux semaines. Avec tout juste 230 abonnés à son actif, il organise des forums sur la plateforme, abordant des thèmes variés comme l’implantation d’une jeune pousse au Québec ou la francophonie du numérique.
« J’ai été séduit par cette application, dont un ami m’avait parlé. Ce n’est pas une émission de radio, ce n’est pas un podcast et ce n’est pas non plus un média social traditionnel. C’est un peu un mixte de tout ça », raconte M. Nadeau. « C’est un peu comme si on discutait autour d’un café, il y a une grande proximité sur l’application. »
Un avis que partage Joanna Chevalier (Hanna Che), co-fondatrice de l’organisme Neverwasaverage, qui a, quant à elle, fait ses débuts sur Clubhouse le 4 novembre dernier. « Tu peux écouter quelqu’un de célèbre comme le designer Virgil Abloh échanger avec un autre designer beaucoup moins connu, qui viendrait d’une toute petite ville. Il y a vraiment moins de hiérarchie et plus de proximité sur Clubhouse que sur les autres réseaux », explique-t-elle.
« Pour quelqu’un qui est moindrement intéressé par entendre l’opinion de différentes personnes pour réfléchir à des enjeux, moi je trouve ça super intéressant. C’est vraiment une excellente plateforme et je suis contente de l’avoir découvert », ajoute Mme Chevalier.
Et pour que chacun y trouve son compte, il y existe une multitude de forums de discussions planifiés à l’horaire, variant au gré des sujets de l’heure et des intervenants.
Mais de l’avis de Nadia Serraioco, chargée de cours à l’UQAM spécialisée dans les médias numériques — qui a récemment été invitée sur Clubhouse, la participation des utilisateurs reste toutefois très souvent passive.
« Plus souvent qu’autre chose, on écoute des bribes de conversations de façon passive. Certaines fois, les salons audio sont très organisés, c’est comme si on écoutait un balado, des fois non et on a un peu l’impression d’espionner une conversation », souligne Mme Serraioco.
Déjà avant de s’inscrire au mois de novembre, Mme Chevalier avait entendu parlé de la fameuse application par des influenceurs et des créateurs noirs qui utilisaient la plateforme.
« Je pense que les personnalités noires ont vraiment contribué à mettre la plateforme de l’avant, explique-t-elle. Avec tout ce qui s’est passé en 2020 — la mort de George Floyd et le mouvement Black lives matter, je pense que c’est une plateforme sur laquelle les gens ont pu se rassembler, discuter de ce qu’il se passait. »
Les groupes de discussion reliés aux problèmes sociaux que vivent les personnes issues des minorités foisonnent — en passant par les forums pour les jeunes femmes noires entrepreneures, aux discussions entourant les artistes de couleur, et bien d’autres.
« Je trouve que c’est une bonne plateforme pour discuter plus en profondeur sur un sujet, même si j’écoute plus que je participe durant les échanges. Et contrairement à Facebook ou à Twitter, où tu écris, là tu dois écouter, parler, ça prend un certain engagement. Il y a des gens qui passent des heures et des heures à discuter sur le réseau. Je trouve que ça crée une autre forme de connexion », explique Joanne Chevalier.
Vers une démocratisation ?
Un élément que soulignent souvent les utilisateurs de la plateforme est le respect qui y règne contrairement à certains autres réseaux sociaux comme Twitter, envahi par des trolls.
« Personnellement, je suis en faveur [du fait] que toutes les applications soient accessibles, plaide de son côté Mme Chevalier. En ce moment, ça ne l’est pas du tout. Comme ce sont des discussions sur le site, je pense que plus de personnes seront dessus, je pense que plus les échanges seront diversifiés. »
La sélection à l’entrée ne durera pas, pense Nadia Serraioco. « Il est fort probable que si Clubhouse fonctionne bien, ça va être ouvert à tous et j’espère qu’ils mettront en place certains mécanismes de contrôle pour modérer le contenu. »
Selon la chargée de cours à l’UQAM, l’entreprise a intérêt à ouvrir rapidement les portes de sa plateforme, car si elle maintient trop longtemps sa stratégie d’accès sur invitation, il pourrait y avoir un désintérêt pour le réseau.
Et pour que les utilisateurs maintiennent leur confiance envers la plateforme, il faudra aussi que l’entreprise s’attelle sérieusement aux problèmes de failles de sécurité qui ont été détectés dans les derniers jours, estime Mme Serraioco.
Il est fort probable que, si Clubhouse fonctionne bien, ça va être ouvert à tous et j’espère qu’ils mettront en place certains mécanismes » de contrôle pour modérer le contenu
NADIA SERRAIOCO