Le premier acheteur, la chronique de Gérard Bérubé
La revente résidentielle a démarré l’année avec la même frénésie observée au deuxième semestre de 2020. Le marché du premier acheteur, notamment, est en pleine ébullition, et l’état de surévaluation, qui s’approchait déjà d’un seuil problématique en décembre, n’y fait rien.
La prolifération d’offres simultanées, de surenchères et de ventes dans de courts délais reste encore la dominante. Et dans un contexte persistant de demande excédentaire s’appuyant sur des taux hypothécaires historiquement bas, même ce qui serait normalement difficilement vendable trouve preneur, alors que les propriétés nécessitant d’importantes rénovations s’envolent à fort prix. « La pandémie a créé un contexte d’épargne obligatoire (ou par défaut) et en inciterait plus d’un à devancer leur projet d’achat immobilier, dans une réalité de télétravail invitant à réévaluer ses besoins résidentiels », résumait en décembre Denis Doucet, consultant de l’agence hypothécaire Multi-Prêts.
Une étude publiée ce jeudi par Royal LePage apporte un éclairage intéressant. Le sondage se concentrait sur les Canadiens âgés de 25 à 35 ans. On y lit que 48 % des répondants sont propriétaires de leur résidence et que 25 % de ces répondants ont acheté leur propriété pendant la pandémie. « La demande bien plus grande que la normale de la part de cette cohorte, combinée au fait que les propriétaires plus âgés aient été généralement plus réticents à mettre leur propriété sur le marché durant la pandémie, a contribué à une pénurie d’inventaire presque critique dans certaines régions du pays », précise la firme de courtage.
Outre le faible inventaire, la pandémie a engendré un effet de richesse combinant réduction des dépenses et forte poussée du taux d’épargne. S’y sont greffés les programmes d’aide gouvernementale et les politiques de report des paiements. Sans oublier le télétravail, qui déplace une grosse partie de la demande hors des grands centres urbains, les gens étant à la recherche de plus d’espaces extérieurs, de prix moins élevés des propriétés ou de la possibilité d’acquérir une propriété plus spacieuse.
Et l’engouement ne faiblit pas. Toujours selon le sondage de Royal LePage, chez les non-propriétaires, l’intention d’achat est forte (84 %), « 68 % des répondants prévoyant de déménager au cours des cinq prochaines années. Ce sont 16 % des personnes interrogées qui indiquent prévoir d’acheter une propriété au cours de l’année, tandis que 14 % songent à s’exécuter d’ici un an ou deux, et 39 % dans un horizon de deux à cinq ans ».
Accalmie attendue
Une certaine accalmie est toutefois attendue, avec un accroissement graduel de l’offre et de meilleures perspectives d’achat dans la copropriété. Car tout n’est pourtant pas rose. Si la Banque du Canada constate l’apparition de signes d’exubérance excessive dans le marché immobilier, mais sans y voir un degré comparable à celui mesuré lors du boom immobilier de 2016-2017, les données des analystes de la Banque Nationale faisaient ressortir qu’au quatrième trimestre de 2020, le pourcentage d’emprunteurs vulnérables dépassait le sommet observé en 2017.
De plus, les banques centrales ne cessent de répéter qu’elles maintiendront leurs taux directeurs le plus bas possible tant que le marché de l’emploi n’aura pas retrouvé la santé. Cela vaut pour les taux de court terme influençant les taux hypothécaires variables. Ce qui n’empêche pas que des pressions à la hausse puissent s’exercer sur les taux obligataires à plus long terme, qui ont une influence sur la courbe des taux hypothécaires.
Aux États-Unis, on n’en avait que pour la progression récente du taux sur les bons du Trésor américain. L’échéance de dix ans a fait un bond à 1,3824 % mardi, après être montée au-dessus de 1,43 % en cours de séance. Elle est en hausse de près de 50 % depuis janvier et s’approche de la barre du 1,5 %, qualifiée de sensible pour les marchés financiers, disaient les analystes de Wall Street.
Le patron de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, a réitéré mardi que l’institution allait maintenir sa politique accommodante de soutien à l’économie. Il a aussi balayé les craintes des marchés au sujet d’une possible inflation galopante dans les prochains mois. « Il a dit que les taux obligataires à la hausse étaient moins le signe d’une inflation que celui de bonnes perspectives pour la croissance dès le deuxième semestre », a repris un analyste de Wall Street.
Si l’inflation n’est pas une menace, la sortie de crise sanitaire de l’économie laisse tout de même entrevoir des pressions haussières sur les taux hypothécaires quelque part cette année.