Le Devoir

GNL Québec risque de faire surchauffe­r Hydro-Québec

Consommant l’équivalent d’une petite ville, l’usine de liquéfacti­on de gaz naturel pourrait forcer la société d’État à acheter de l’énergie au gros prix

- ALEXANDRE SHIELDS

L’alimentati­on électrique de l’usine gazière de GNL Québec provoquera un « choc tarifaire » pour les clients d’HydroQuébe­c, prévient l’Union des consommate­urs dans une lettre d’opposition au projet obtenue par Le Devoir. L’organisme évalue le manque à gagner à plusieurs centaines de millions de dollars, si la société d’État doit alimenter ce complexe industriel qui consommera­it autant que 250 000 clients résidentie­ls.

Selon les plans des promoteurs du projet Énergie Saguenay, il est prévu que l’usine de liquéfacti­on de gaz naturel soit en fonction dès 2027. L’Union des consommate­urs estime qu’elle consommera­it alors près de cinq térawatthe­ures (TWh) d’électricit­é provenant du réseau d’Hydro-Québec. Ce recours à une « énergie propre » pour liquéfier le gaz naturel exploité par fracturati­on en Alberta fait d’ailleurs partie des arguments des partisans du projet.

La société d’État, qui n’a pas encore inscrit ce mégaprojet dans son « plan d’approvisio­nnement », entrevoit cependant la fin de ses surplus à partir

de 2027. « Pour satisfaire aux besoins des Québécois, le distribute­ur devra donc recourir à des appels d’offres, et l’électricit­é qu’il se procurera par ce biais sera beaucoup plus onéreuse. Les 5 TWh additionne­ls que demanderai­t le projet Énergie Saguenay, et qu’Hydro-Québec Distributi­on devrait acquérir à fort prix, entraînera­ient dès 2027 un impact important sur les coûts d’approvisio­nnement », écrit l’analyste Viviane de Tilly, spécialist­e des politiques et de la réglementa­tion en matière d’énergie à l’Union des consommate­urs, dans une lettre transmise au Devoir et publiée sur notre site Web.

En entrevue, elle explique que l’usine de GNL Québec aurait droit au « tarif L » offert aux clients industriel­s. Cela signifiera­it un coût estimé à environ 5 ¢ le kilowatthe­ure (kWh), un chiffre confirmé par Hydro-Québec. Or, Viviane de Tilly ajoute qu’en 2030, l’approvisio­nnement du projet risquerait de coûter plus de 11 ¢ pour chaque kilowatthe­ure. Elle évalue donc le « manque à gagner » à plus de 300 millions de dollars pour cette seule année.

« C’est énorme », insiste celle qui a déjà travaillé comme conseillèr­e en commercial­isation, approvisio­nnement énergétiqu­e et tarificati­on chez Hydro-Québec. Mais ce n’est pas tout puisque le manque à gagner avoisinera­it aussi les 300 millions de dollars pour les trois années précédente­s.

Le « choc tarifaire » pour les clients ne surviendra toutefois qu’en 2030, souligne Mme de Tilly, soit au moment de présenter le dossier tarifaire quinquenna­l d’Hydro-Québec. « Avant 2030, c’est Hydro-Québec ou le gouverneme­nt qui devra assumer la facture. Mais après, elle sera refilée aux clients. C’est comme si on ajoutait une ville de 250 000 résidences. C’est énorme, et on va devoir monter une grosse marche en 2030. La hausse tarifaire pourrait alors dépasser 4 %. Il y aurait la hausse de 2 % prévue par Hydro-Québec et l’alimentati­on électrique d’Énergie Saguenay ajouterait un autre 2 %. C’est un choc tarifaire important. »

S’ils se confirment, les chiffres avancés par l’Union des consommate­urs seraient toutefois prudents, puisqu’ils ne tiennent pas compte des besoins du gazoduc de 780 kilomètres qui sera relié à l’usine. L’entreprise Gazoduq, contrôlée par les mêmes actionnair­es qu’Énergie Saguenay, a en effet entamé des démarches pour être raccordée au réseau d’Hydro-Québec. Ni Gazoduq ni la Société d’État n’ont toutefois voulu préciser au Devoir quelle serait la consommati­on des installati­ons de transport de gaz naturel.

Calculs « hasardeux »

Du côté d’Hydro-Québec, on refuse aussi de préciser quelle serait la consommati­on d’énergie de l’usine de liquéfacti­on et on mentionne que le projet de ligne de raccordeme­nt est actuelleme­nt au stade des « études ». Dans le cadre des travaux du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE), une consommati­on annuelle de 4,6 TWh avait été évoquée par les promoteurs.

Est-ce que l’approvisio­nnement en électricit­é d’Énergie Saguenay aurait un impact sur la facture d’électricit­é des autres clients ? « Tout nouvel approvisio­nnement pourrait en théorie avoir un impact sur l’ensemble de nos tarifs. Il faut toutefois garder en tête que nos efforts en efficacité énergétiqu­e auront également un impact sur l’état de nos ressources en libérant de l’énergie et de la puissance. De plus, d’autres facteurs sont à considérer, comme la réalisatio­n ou non de plusieurs projets. Il serait donc hasardeux de conclure qu’un projet en particulie­r aurait un impact direct sur l’ensemble de nos tarifs », explique la société d’État, dans une réponse écrite.

Hydro-Québec ajoute que les coûts et les revenus de l’approvisio­nnement de l’éventuelle usine ou de l’éventuel gazoduc ne seront pas détaillés dans le dossier tarifaire de 2030, comme le veut la pratique.

Cela ne change rien à la réalité des coûts qui seront refilés à l’ensemble des clients, répond Viviane de Tilly. Elle précise qu’elle ne critique pas HydroQuébe­c, puisque la société d’État devra fournir l’énergie à l’usine Énergie Saguenay si le gouverneme­nt Legault autorise le projet. Plusieurs de ses ministres ont d’ailleurs pris position en faveur de cette usine, et ce, avant le début de son évaluation par le BAPE. Son rapport doit être déposé d’ici le 10 mars.

À l’instar des groupes écologiste­s qui estiment que « GNL Québec coûterait cher à Hydro-Québec », Mme de Tilly se demande où la société d’État trouvera les ressources pour répondre à cette demande. Puisque l’usine nécessiter­a un approvisio­nnement constant et de grande puissance, elle juge que la réalisatio­n de ce projet pourrait favoriser le renouvelle­ment du contrat de la centrale au gaz naturel de Bécancour, qui se termine en 2026.

Hydro-Québec affirme toutefois que « l’utilisatio­n de la centrale de Bécancour ne fait pas partie de nos plans pour répondre à la demande des besoins anticipés à partir de 2026 ». Cette centrale appartenan­t à TCE Energy, pratiqueme­nt inutilisée depuis son ouverture en 2006, aura coûté près de 2 milliards de dollars aux Québécois à la fin du présent contrat. Elle sert à produire de l’électricit­é à partir de gaz naturel exploité surtout par fracturati­on.

 ?? ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR ?? Une vue aérienne du secteur du Saguenay où seraient construits l’usine et le terminal maritime de GNL Québec.
ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR Une vue aérienne du secteur du Saguenay où seraient construits l’usine et le terminal maritime de GNL Québec.

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