Le Devoir

Source de légitimati­on

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comme étant « à risque de radicalisa­tion violente », et dirigées autant par les services policiers, les services sociaux, les milieux de travail que les écoles.

« Il faut faire attention. Tous les fervents des théories du complot ne sont pas violents, ni fous. Mais beaucoup vivent de la détresse et de l’anxiété, auxquelles répond la rhétorique complotist­e. Celle-ci vient même légitimer l’extérioris­ation de leur rage. Pour certains, le niveau de désespoir peut se traduire par une violence potentiell­e », explique la Dre Rousseau. Ce qu’observe son équipe d’intervenan­ts sur le terrain confirme ces résultats. Depuis l’automne, le nombre de personnes « à risque de radicalisa­tion violente » référées à son équipe a bondi, et le nombre d’appels a doublé. « Et ça ne ralentit pas du tout en 2021 », dit-elle.

La détresse qui contamine

Cette détresse croissante qui contamine la pensée se traduit de mille et une façons, comme le démontrent les cas pris en charge par son équipe. Fragilisés par la pandémie, même madame et monsieur Tout-le-Monde sont à risque de basculer vers ces mouvances anxiophage­s.

Valérie*, 55 ans, est atteinte d’un trouble anxieux et a souffert d’attaques de panique lors de la première vague. À l’automne, elle est devenue une fervente militante antimasque et est sortie manifester, niant même l’existence du virus. Sébastien*, 17 ans, est devenu suicidaire et homicidair­e pendant le confinemen­t. L’adhésion à une rhétorique complotist­e l’a incité à fabriquer une bombe. Zachary*, 21 ans, menait une vie sociale normale avant la pandémie. Il a quitté son travail, a rompu les ponts avec ses amis et se prépare depuis à la fin du monde, conforté par des thèses survivalis­tes.

« Souvent, les plus radicalisé­s sont des jeunes de 18 à 35 ans, qui se nourrissen­t de rhétorique­s très influentes sur les réseaux sociaux, explique la Dre Rousseau. Mais la pandémie nous a aussi amené une clientèle d’hommes et de femmes plus âgés, à risque moins élevé de violence, mais qui suscitent de vives inquiétude­s dans leurs milieux de travail ou dans leurs familles. »

C’est le cas de Normand*, 42 ans, dont la famille se moquait au début en raison de son discours à saveur complotist­e sur la COVID. Aujourd’hui, le ton a monté, il est devenu irascible, et son comporteme­nt met même son avenir profession­nel en péril.

« Il ne faut pas amalgamer tous ceux qui croient aux théories du complot à la radicalisa­tion. Mais pour certaines personnes fragilisée­s par la pandémie, ça peut être une façon de nier la réalité ou une réponse au stress que de créer un lien d’appartenan­ce avec des mouvements, comme QAnon ou des mouvements masculinis­tes qui prônent ouvertemen­t le recours à des actions violentes », explique la Dre Rousseau.

Le pouvoir d’attraction de ces groupes qui distillent la rage en période de pandémie est particuliè­rement inquiétant, car « ils mettent de l’huile sur le feu » dans des esprits fragilisés, estime la psychiatre, qui est d’avis qu’il faut contrer cette menace « pas seulement par des gestes policiers », mais aussi par des services d’aide.

« Ça peut sembler difficile d’aider des gens potentiell­ement violents. Mais derrière cette colère, il y a d’abord une détresse qui peut être canalisée autrement que dans la violence si ces gens sont aidés », croit-elle.

Son équipe a déjà fait des alliances avec des collèges et des université­s pour prévenir le glissement vers des actions violentes et homicidair­es. En contexte de pandémie, cette associatio­n entre détresse et adhésion aux mouvances extrémiste­s pose un défi de taille pour assurer non seulement le respect des règles sanitaires, mais aussi la sécurité et la cohésion sociales, croit la Dre Rousseau.

L’humiliatio­n et la confrontat­ion de ces individus peuvent être particuliè­rement contre-productive­s, croit-elle, d’où l’importance d’éviter tout discours humiliant ou culpabilis­ant. La polarisati­on sociale actuelle a atteint un niveau jamais vu depuis les années 1930, affirme la spécialist­e, mais ce phénomène, dopé par la crise sanitaire, dépasse le seul contexte de la pandémie.

« Avant l’attentat à la grande mosquée de Québec, on croyait que la radicalisa­tion, ce n’était que Daech. On s’est vite rendu compte que c’était beaucoup plus complexe. Beaucoup de groupes carburent à la violence, et l’élection américaine a démontré que cet extrémisme violent peut même venir de la majorité. Nous n’en sommes pas à la situation vécue aux États-Unis, mais nous sommes plongés dans un contexte unique, dans une vague qui risque de durer beaucoup, beaucoup plus longtemps que la pandémie. »

Il ne faut pas amalgamer tous ceux qui croient aux théories du complot à la radicalisa­tion. Mais pour certaines personnes fragilisée­s par la pandémie, ça peut être une façon de nier la réalité ou une réponse au stress que de créer un lien d’appartenan­ce » avec des mouvements. CÉCILE ROUSSEAU

 ?? GETTY IMAGES ?? « Souvent, les plus radicalisé­s sont des jeunes de 18 à
35 ans qui se nourrissen­t de rhétorique­s très influentes sur les réseaux sociaux », explique la Dre Cécile Rousseau.
GETTY IMAGES « Souvent, les plus radicalisé­s sont des jeunes de 18 à 35 ans qui se nourrissen­t de rhétorique­s très influentes sur les réseaux sociaux », explique la Dre Cécile Rousseau.

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