Trudeau adossé à Biden
Justin Trudeau a brillé par son absence lundi aux Communes lors du vote sur la motion accusant le gouvernement chinois de se livrer à un génocide contre les Ouïgours. Ce qui fait de lui un premier ministre qui, s’abstenant, a d’autant plus manqué de courage et de cohérence que c’est à l’unanimité que la Chambre a dénoncé la Chine pour sa répression des minorités musulmanes. Voici un premier ministre et les membres de son cabinet qui se retiennent de blâmer Pékin pour des persécutions de masse documentées, mais qui sont restés coincés dans leurs positions depuis plus de deux ans quant au procès en extradition de Meng Wanzhou, au nom de l’État de droit, de l’indépendance du système de justice et de l’« intérêt national » — quitte par ailleurs à ce que cela coûte la vie aux « deux Michael », arbitrairement détenus par la Chine en représailles.
La promotion de l’État de droit et de la bonne gouvernance, principes si chers à M. Trudeau, ne mérite-t-elle donc pas qu’on l’étende à la défense des Ouïgours ?
Entendu que M. Trudeau s’est abstenu en pensant à Michael Spavor et à Michael Kovring, ces deux citoyens canadiens que la Chine détient par pur chantage depuis l’arrestation à Vancouver, en décembre 2018, de Mme Meng, directrice des finances de Huawei, sur requête en extradition de la justice américaine. Crédible est la thèse voulant que les relations sino-canadiennes étant particulièrement tendues, Ottawa ait choisi de ne pas en rajouter. Sa retenue n’a pas pour autant empêché Pékin de se déchaîner contre le vote aux Communes.
L’histoire ne va pas s’arrêter là. Toutes tendances confondues, les députés fédéraux ont réclamé dans la foulée du vote que le gouvernement crée un programme de réfugiés pour les Ouïgours et « autres minorités turciques », qu’il durcisse la lutte contre le travail forcé et qu’il impose des sanctions aux hauts responsables de la répression. Il n’est pas trop tard pour le gouvernement Trudeau, cela dit, de suppléer à sa carence de courage. Surtout qu’avec l’arrivée de Joe Biden à la MaisonBlanche et la « réinitialisation » de la relation canado-américaine, la donne change.
Dans l’affaire compliquée qu’est celle de Mme Meng, il se sera agi pour le Canada de faire face à l’odieuse « diplomatie d’otages » des Chinois tout en n’indisposant pas un président américain dangereux. Équation insoluble. Libéré de Trump, Ottawa respire du coup pas mal plus à l’aise. Justin Trudeau était rayonnant mardi à l’occasion de son sommet virtuel avec M. Biden. Et si les deux hommes ont convenu d’une « feuille de route » avec, en son coeur, la promesse fondamentale d’une lutte intégrée contre les changements climatiques, la question chinoise n’en a pas moins été un point majeur des discussions.
M. Trudeau aura donc été ravi, et pour cause, d’entendre M. Biden dire que des « êtres humains ne sont pas des monnaies d’échange » et que « nous allons travailler ensemble pour obtenir la libération » des deux Michael. À savoir comment est une autre histoire.
De fait, les vertueux propos de M. Biden s’inscrivent dans sa volonté bien affichée de créer une coalition occidentale et multilatérale contre les pratiques abusives de Pékin, en commerce comme en droits de la personne — une approche à l’envers de la « guerre commerciale » bilatérale déclenchée par Trump. Projet ambitieux et nécessaire, mais vieille rengaine aussi, considérant la complaisance dont fait preuve l’Occident à l’égard de la Chine depuis quarante ans au nom de l’accès à son marché — et dans le contexte de la présidence ultra-autoritaire de Xi Jinping. L’intérêt est grand pour cette superpuissance en perte d’hégémonie que sont les États-Unis de réunir ce front commun derrière elle. Le Canada, lui, ne demande qu’à sortir de l’esseulement dans lequel l’a plongé le trumpisme. En ce sens, les relations canado-américaines pourraient à moyen terme devenir plus serrées que jamais, malgré les inévitables collisions de nature protectionniste.
M. Trudeau se trouve depuis deux ans à avoir entretenu l’idée, par extension, qu’à résister au chantage chinois et, donc, à sacrifier deux ressortissants sur l’autel de l’« intérêt national », cela seul allait contribuer à forcer Pékin à changer ses manières. Agaçant angélisme ! Lié aux États-Unis par un traité d’extradition — prétexte utile —, Ottawa n’en a pas moins le pouvoir d’interrompre les procédures judiciaires contre Mme Meng et de la renvoyer chez elle. Quelle que soit la sortie de crise, en tout cas, les deux Michael n’ont pas à payer le prix du retard pris par les Américains dans le développement de la technologie du G5, une question centrale de cette affaire. Les relations entre la Chine et l’Occident n’ont pas fini de se tendre — tensions que le débat autour de la tenue à Pékin des Jeux olympiques de 2022 va venir aiguiser. Les deux Michael n’ont pas à faire les frais de cette grande guerre d’influence.