Chronique martienne de l’astromobile Perseverance
Maintenant que l’astromobile Perseverance s’est posée sur Mars, les ingénieurs vérifient l’état de santé des équipements, et les scientifiques planifient leur première exploration
Jeudi 25 février 2021, 5 h 30 du matin, heure de Los Angeles, l’ingénieure québécoise Farah Alibay vient de « souper » quand elle répond à notre appel téléphonique. Elle a travaillé de 19 h à 4 h, car en ce moment, la nuit martienne est synchrone avec la nuit terrestre.
« Chaque soir, entre 17 h et 18 h, heure de Mars, Perseverance nous transmet toutes les données qu’elle a accumulées durant la journée. Des équipes de la mission analysent sur-le-champ ces données et, à partir de leurs constats, on planifie ce que fera Perseverance durant la prochaine journée martienne. On élabore un programme qu’on envoie le matin au robot pour qu’à son réveil, il reçoive son plan de travail pour la journée », explique Mme Alibay.
Depuis l’arrivée du robot Perseverance sur Mars, elle procède à diverses vérifications visant à confirmer le bon état de marche du robot et de ses différentes composantes. Elle équipe Perseverance d’un système d’opération qui lui permettra d’accomplir ses diverses missions sur le sol martien. « Jusqu’à maintenant, le robot était équipé de toutes les fonctions lui permettant de voyager vers Mars et d’y atterrir, et comme il n’a plus besoin de ces fonctions, on les retire et on les remplace par celles qui permettront de conduire le robot et de faire bouger son bras. […] Nous devrions être en mesure de guider le robot et d’actionner son bras pour la première fois la semaine prochaine ! » résume Mme Alibay.
Quand l’ensemble des vérifications — qui devraient s’étaler sur au moins un mois — seront terminées, on cherchera un endroit propice pour la démonstration technologique de l’hélicoptère, qui est le moment que Farah Alibay attend avec impatience, car elle a consacré une grande part des six derniers mois à la mise au point de cette opération. « Il s’agit d’une expérimentation qui vise à vérifier s’il est possible de faire voler un hélicoptère dans l’atmosphère de Mars, sachant que cette dernière est beaucoup moins dense que celle de la Terre. Notre hélicoptère est donc très léger, il ne pèse qu’environ 1,2 kilo, et ce, même s’il est équipé d’un ordinateur et de caméras qui lui permettront de voler et d’atterrir de façon autonome. Par contre, ses pales font 1,30 mètre de longueur. Le design est donc très différent de celui des drones qu’on utilise sur Terre. Voir les photos et vidéos du premier vol sur Mars sera pour moi très excitant ! » s’enthousiasme-t-elle.
La direction à prendre
En parallèle à ces travaux d’ingénierie, les équipes de scientifiques décortiquent les premières images transmises par Perseverance depuis son atterrissage. Au cours des premières rencontres de l’équipe scientifique qui ont eu lieu ces derniers jours, on a beaucoup discuté des roches qui jonchent le sol autour du robot et de la texture de la surface afin de mieux comprendre la nature du site. « Pour le moment, il y a beaucoup de discussions, mais peu de réponses ! » précise le professeur au Département des sciences de la Terre et des planètes de l’Université McGill, Richard Léveillé, qui fait partie de l’équipe de la mission Mars 2020.
« Maintenant qu’on sait exactement où on est posé, il nous faut décider de la direction à prendre pour notre exploration. Un des grands attraits du cratère Jezero est qu’il s’agissait d’un lac dans lequel se jetait une rivière qui a déposé des sédiments et formé un delta. Le robot est actuellement à environ deux kilomètres du delta, qui est une des cibles de la mission. Il y a toutefois des dunes près du site d’atterrissage. C’est intéressant, mais dangereux pour le robot de rouler dans du sable qui bouge, on ne pourra donc pas se diriger vers l’ouest tout de suite », poursuit-il.
Le grand objectif de la mission Mars 2020, rappelons-le, vise à trouver des traces de vie ancienne sur la planète rouge et à les rapporter sur Terre lors d’une seconde mission. « Comme le cratère Jezero contenait un lac à une époque très lointaine, on pense donc qu’il a pu être un environnement propice à la vie, il y a 3,5 milliards d’années », signale M. Léveillé.
Traces de vie
Mais à quoi pourraient ressembler ces signes de vie ancienne sur Mars ? « On se base beaucoup sur ce que l’on sait de la vie sur Terre, ainsi que sur les microfossiles et la matière organique métamorphosée qui ont été trouvés dans des roches âgées de 3,4 à 3,5 milliards d’années », répond le géologue.
« Souvent, les traces de vie ancienne sur Terre sont un peu brouillées », car en raison de la tectonique des plaques et de l’activité géologique intense de notre planète, les roches anciennes ont souvent été transformées avec le temps. Elles ont été ensevelies, soumises à des pressions et à des températures élevées ; des eaux souterraines ont pu venir précipiter certains minéraux et ainsi changer leur minéralogie. « Les traces de vie anciennes ont donc subi elles aussi des changements », explique-t-il.
« Un des avantages possibles sur Mars est que les roches anciennes auraient été moins transformées avec le temps parce qu’il n’y a pas eu de tectonique des plaques sur Mars et il y a moins d’activité géologique. De plus, il y a moins d’activité hydrologique, car il y a eu beaucoup moins d’eau liquide à sa surface, et pendant beaucoup moins longtemps que sur la Terre. Il est donc possible que les roches anciennes que le robot Perseverance examinera sur Mars soient mieux préservées », croit-il.
Alors, que chercheront au juste les scientifiques ? « D’abord, on ne croit pas qu’il y a eu de la vie complexe sur Mars. On ne cherche pas des fossiles de dinosaures ou de grands arbres, mais plutôt des formes de vie microscopique », précise M. Léveillé. On pourrait trouver des microfossiles, des biominéraux formés par une précipitation effectuée par des bactéries, voire de la matière organique, ou simplement des molécules organiques complexes, comme l’ADN et l’ARN, ou encore des protéines, des polysaccharides, autant de molécules qui sont courantes dans les cellules vivantes, donne-t-il en exemple.
« On a retrouvé des molécules organiques, dont des acides aminés qui sont utilisés par la vie sur Terre, un peu partout dans l’espace interstellaire, notamment dans des météorites et une comète, mais ces molécules se sont formées par un processus chimique et pas nécessairement biologique. Il faudra donc bien différencier les molécules organiques qu’on trouvera », prévient le géologue.
Choix chiral
Des chercheurs avancent une hypothèse selon laquelle la vie impliquerait un certain seuil de complexité moléculaire, en d’autres termes, des molécules dont la synthèse nécessite un plus grand nombre d’étapes que celle des acides aminés, par exemple. Ces scientifiques pensent qu’une quinzaine d’étapes semble être la limite minimale pour obtenir des molécules d’une complexité compatible avec la vie. « Il y a un certain seuil de complexité moléculaire qu’on aurait du mal à expliquer sans forme de vie. Alors si on trouve des molécules complexes et qu’en les étudiant on se rend compte que leur synthèse implique le nombre d’étapes minimal, on pourra suspecter la présence de vie ancienne », précise M. Léveillé.
Les scientifiques chercheront aussi d’autres « indicateurs de la vie », dont notamment le ratio d’isotopes de carbone dans les roches. « On sait que certaines bactéries vont préférer métaboliser le carbone 12 plutôt que le carbone 13, cela crée un fractionnement isotopique. Quand on mesurera le ratio d’isotopes de carbone dans une roche qui aurait été altérée par une bactérie, on trouvera un ratio qui sera différent de celui d’une autre roche qui n’aurait pas été colonisée par des bactéries », estime-t-il.
Un autre indicateur d’une présence de vie passée est la chiralité des molécules que rencontreront les scientifiques. La chiralité est une propriété de symétrie que possèdent les molécules. Or, les molécules employées par tous les êtres vivants sur Terre pour fabriquer leurs acides aminés sont toujours du même type de chiralité, ces molécules sont dites lévogyres. « La vie sur Terre a fait ce choix chiral probablement par hasard, mais ce dernier s’est perpétué. Il faudra surveiller [dans nos échantillons] si les molécules présentent une préférence pour une chiralité particulière. Si c’est le cas, on pourra penser que ce n’est pas nécessairement le fruit du hasard », souligne-t-il.
« Toutes ces pistes découlent de ce que nous savons de la vie sur Terre, qui est notre seule référence. Nous sommes biaisés. On peut spéculer que la vie sur Mars était peut-être différente de celle sur Terre. Si la vie martienne était vraiment différente, comment allons-nous reconnaître cette autre forme de vie ? » lance M. Léveillé. « Il y a des gens qui réfléchissent à cette question et qui s’intéressent à des biosignatures agnostiques, c’est-à-dire qui ne sont pas influencées par nos connaissances de la vie sur Terre. Il n’y a aucune indication que ces choses existent, mais il faut garder l’esprit ouvert et ne pas être aveuglé par nos connaissances. »
Si les conditions propices à la vie étaient présentes sur Mars, y a-t-il effectivement eu de la vie ? « Les deux réponses possibles sont intéressantes. Si la réponse est oui, c’est fantastique. Mais il faudra déterminer si la vie y était identique à celle sur Terre, et si elle est différente, pourquoi en est-il ainsi ? Mais s’il n’y a rien qui indique qu’il y avait de la vie sur Mars, comment expliquer cette absence de vie alors que les conditions étaient propices à son développement ? Qu’est-ce qu’il manque à notre compréhension de l’origine et de l’évolution de la vie sur Terre ? Même si la réponse à la question de base s’avère négative, elle sera néanmoins d’un grand intérêt scientifique ! » estime M. Léveillé.