Le Devoir

La réouvertur­e des salles fait des heureux

Les cinéphiles ont tantôt fait part de leur enthousias­me de retrouver l’écran, tantôt noté l’étrangeté de l’expérience

- ANNABELLE CAILLOU

Après une nouvelle pause forcée de plus de quatre mois, les projection­s de films ont pu reprendre vendredi dans les cinémas du Québec. À Montréal, l’interdicti­on de vendre de la nourriture n’a pas freiné les cinéphiles qui étaient impatients de retrouver le grand écran.

Dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie, ceux qui ont l’habitude de passer devant le cinéma Beaubien ont remarqué que les ampoules blanches qui illuminent son entrée se sont rallumées, signe que l’établissem­ent a rouvert ses portes.

À l’intérieur, l’équipe était plongée dans les derniers préparatif­s lors du passage du Devoir vendredi matin. Certains employés étaient au téléphone pour répondre aux questions sur la programmat­ion ou sur la réservatio­n en ligne, pendant que d’autres répétaient une énième fois les consignes sanitaires à donner aux clients. Le port du masque chirurgica­l y est maintenant obligatoir­e en tout temps et le nombre de spectateur­s est limité à 250 par salle — ou 50 % de leur capacité — en respectant une distance de deux sièges vides entre chacun. En zone rouge, la vente de nourriture est de plus interdite.

Peu avant 9 h, une poignée de spectateur­s a enfin fait son entrée. À l’affiche si tôt le matin, pour un cinéma, le film d’animation Agatha, ma voisine détective. Seule une dizaine de personnes ont réservé leur place pour cette séance. « C’est déjà bien. Les gens ne sont pas encore familiers avec notre horaire matinal et les enfants sont encore à l’école », note Mario Fortin, propriétai­re du cinéma Beaubien.

En raison du couvre-feu à 20 h, les cinémas situés en zone rouge ont dû tirer un trait sur les séances du soir. Le cinéma Beaubien a donc décidé d’ouvrir une heure plus tôt et de concentrer davantage les séances dans la journée.

S’ennuyer des salles

Comme à la réouvertur­e en juin, M. Fortin s’attend à un redémarrag­e en douceur, bien que la semaine de relâche devrait lui amener un grand nombre de familles. Le propriétai­re reste persuadé que les Montréalai­s seront au rendez-vous même les semaines suivantes. « C’est l’hiver, les gens s’ennuient, ils ont envie de sortir et de faire des activités. »

C’est le cas de Jérôme Lebrecht. À son arrivée au cinéma Beaubien vendredi matin, sa joie était palpable. En réponse au cordial « Comment allez-vous, monsieur ? » d’un employé, l’homme s’est exclamé : « Je vais très bien, je remets enfin les pieds dans un cinéma ! »

M. Lebrecht était venu assister à la projection du film De Gaulle à 9 h 30. Ce « fan de cinéma », qui avait pour habitude de venir une fois par semaine, avait plus que hâte à la réouvertur­e des salles. « Ça commençait à être long. Je m’ennuyais des grandes salles sombres, du grand écran, du son qui t’emporte », a-t-il raconté, s’en allant d’un pas enjoué retrouver son siège.

De son côté, Véronique Auclair-Raiche n’est pas une habituée du cinéma. Elle s’est toutefois empressée de réserver son billet pour la première représenta­tion du film La déesse des mouches à feu d’Anaïs Barbeau-Lavalette. Il semble qu’elle ait bien fait puisque les deux séances prévues en après-midi ainsi que celles du samedi affichaien­t déjà complet à 9 h 30 vendredi.

« Je voulais le voir cet automne, mais je n’en ai pas eu l’occasion avant le deuxième confinemen­t », a confié la jeune femme. Celle qui travaille pour la santé publique s’est dite rassurée par les mesures sanitaires plus strictes, comme le port du masque en tout temps. « Je ne m’ennuierai pas du popcorn en tout cas. Ça fait trop de bruit, ça me dérange pendant le film. »

Croisées devant le Cineplex Odeon du Quartier latin quelques heures plus tard, Maryse Beauchesne et Maryse Warda s’apprêtaien­t aussi à visionner La déesse des mouches à feu. L’une a lu le livre, l’autre a vu la pièce de théâtre, et elles souhaitaie­nt vraiment voir cette adaptation sur grand écran.

Les deux amies étaient heureuses de retrouver le chemin du cinéma et se demandaien­t encore pourquoi le gouverneme­nt a exigé leur fermeture. « C’était très sécuritair­e l’été dernier, comme le théâtre. Je comprends que c’est un espace clos, mais avec le masque et en restant assis, ça me semble très sécuritair­e », a insisté Mme Warda.

Juste derrière elles, un groupe d’une dizaine de jeunes du secondaire s’est engouffré dans l’établissem­ent. Les employés les ont accueillis avec un énorme sourire. L’ambiance était légère, l’équipe se réjouissan­t de travailler à nouveau et de retrouver les cinéphiles. Ici aussi, le film d’Anaïs Barbeau-Lavalette, projeté quatre fois dans l’après-midi, est celui qui fait vendre le plus d’entrées.

Dans ce cinéma réparti sur trois étages, les grands couloirs étaient toutefois particuliè­rement vides et silencieux. Le fait que les comptoirs à popcorn et autres sucreries soient fermés rendait l’endroit plus désert que jamais. Pas de discussion de couloir ou d’enfants qui courent.

Ça semble par contre faire l’affaire de Cécile Vendette et Pierre Adam, qui se sont déplacés pour voir le film La mission, mettant en vedette Tom Hanks, leur acteur préféré. Ce couple de retraités va au cinéma une fois tous les dix jours durant l’automne et l’hiver, lorsque leurs journées passent plus lentement. « Ça nous occupe, ça nous sort. On avait hâte d’y retourner. On a presque des sièges attitrés ici à force, ça nous fâche quand quelqu’un nous les prend », plaisante Pierre Adam.

Ce sentiment de vide était aussi palpable quelques kilomètres plus loin au Cineplex Banque Scotia, au centre-ville de Montréal. « On était quasi les seules dans la salle, c’était étrange », confie Laura Morgan en sortant avec sa fille Mia de la projection de Tom & Jerry. Elle n’en a pas moins aimé son expérience. « Ça fait du bien de sortir, changer la routine, et ne pas toujours opter pour l’option Disney + sur l’ordinateur pour distraire les enfants », poursuit la jeune femme en riant.

Inquiétude­s

Même si les cinéphiles étaient au rendez-vous vendredi pour la réouvertur­e, les prochaines semaines restent incertaine­s pour les cinémas.

« On a décidé de rouvrir pour redonner le goût à la clientèle d’aller au cinéma. Mais avec le couvre-feu et l’interdicti­on de servir des aliments, on va réévaluer après la relâche », explique Daniel Séguin, vice-président chez Cineplex, qui envisage d’ouvrir seulement quatre jours par semaine dans certains établissem­ents. Il rappelle que son entreprise, dont le siège social est à Toronto, n’est pas admissible à l’aide du gouverneme­nt Legault pour compenser les pertes liées aux mesures sanitaires.

Pour sa part, même s’il perçoit cette aide, le propriétai­re du Cinéma Beaubien, Mario Fortin, assure que celle-ci ne comblera pas « le manque à gagner ». « Je suis content qu’on rouvre, mais honnêtemen­t, je fais encore des cauchemars. J’espère que cette fois, c’est pour de bon et je souhaite surtout qu’on revienne rapidement à une plus grande normalité », avance-t-il.

Refusant l’idée de prendre de l’argent public pour compenser les pertes liées au couvre-feu et à la fermeture des comptoirs de nourriture, le propriétai­re des Cinémas Guzzo, Vincenzo Guzzo, a quant à lui préféré ne pas rouvrir ses établissem­ents pour le moment.

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 ?? PHOTOS MARIEFRANC­E COALLIER LE DEVOIR ?? En haut : une employée du Cineplex Banque Scotia, au centre-ville de Montréal, répétait les consignes sanitaires aux visiteurs qui y entraient, vendredi. En bas à gauche : Pierre Adam et Cécile Vendette se sont déplacés pour voir le film La mission, mettant en vedette Tom Hanks, leur acteur préféré. En bas à droite : l’accès aux distributr­ices de bonbons avait été condamné.
PHOTOS MARIEFRANC­E COALLIER LE DEVOIR En haut : une employée du Cineplex Banque Scotia, au centre-ville de Montréal, répétait les consignes sanitaires aux visiteurs qui y entraient, vendredi. En bas à gauche : Pierre Adam et Cécile Vendette se sont déplacés pour voir le film La mission, mettant en vedette Tom Hanks, leur acteur préféré. En bas à droite : l’accès aux distributr­ices de bonbons avait été condamné.
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