L’Algérie fait face à la deuxième vague de son mouvement prodémocratie
Deux ans après sa naissance, le Hirak a repris ses marches cette semaine pour appeler à la destitution du régime en place
La libération massive de prisonniers d’opinion, le remaniement ministériel et même la dissolution du Parlement n’y ont rien changé. Loin d’être apaisée par les signes d’ouverture du régime d’Abdelmadjid Tebboune, l’Algérie a remis en marche cette semaine son mouvement prodémocratie, à la faveur du deuxième anniversaire, le 22 février dernier, du Hirak. C’est le nom donné à cette révolution pacifique.
Une contestation persistante qui, à l’approche des soixante ans de l’indépendance du pays, célébrée en juillet prochain, force désormais les généraux au pouvoir, tout comme leurs représentants politiques, à réellement ouvrir un dialogue avec cette opposition, réprimée par le régime, qui réclame sans relâche et sans essoufflement depuis 2019 l’instauration d’un État de droit et d’une réelle démocratie en Algérie.
« L’évolution politique de la situation en Algérie dépendra principalement de la capacité du régime, et en particulier du président, à décriminaliser le Hirak et à permettre ainsi sa normalisation politique », a écrit cette semaine la sociologue spécialiste du Maghreb, Amel Boubekeur, dans les pages du quotidien Le Monde. Selon elle, le pouvoir en place n’a plus d’autre choix que de « favoriser le mûrissement du Hirak, sans l’instrumentaliser », et ce, pour lui « permettre de se constituer en force de proposition ».
Car la force de revendication, elle, est encore bien vive, comme en ont témoigné cette semaine les Algériens en redescendant dans la rue lundi pour marquer l’anniversaire du mouvement, et en y retournant massivement vendredi, comme le veut désormais la tradition, pour relancer leur appel hebdomadaire à plus de liberté. Depuis un an, la pandémie de COVID-19 avait aussi confiné cette révolution dans les foyers.
Mardi, les étudiants ont repris également leur marche hebdo madaire pour réclamer le départ des figures du régime en place et la construction d’une Algérie nouvelle, démocratique, ouverte sur le monde et dotée d’un système de justice réellement indépendant.
« Le pouvoir algérien avait fait le pari de la mort du Hirak, laisse tomber à l’autre bout du fil Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), joint cette semaine à Alger par Le Devoir. Mais cela ne s’est pas produit. Au contraire. On a vu cette semaine le peuple algérien s’exprimer et maintenir ses revendications qui, depuis deux ans, restent les mêmes : l’ouverture démocratique du pays, un exercice de la citoyenneté protégé par un État de
droit et surtout un changement total et radical du système », actuellement contrôlé par les militaires.
Contre COVID-19 et répression
Le ton, même s’il s’exprime désormais derrière des couvre-visages, reste inchangé depuis la chute d’Abdelaziz Bouteflika que le Hirak a entraînée en 2019. Le mouvement a vu le jour pour dénoncer le cinquième mandat que briguait l’ex-président, malgré son état de santé. Il était devenu fantomatique en raison d’un accident cardiovasculaire subi quelques années plus tôt.
Le mouvement a survécu également à une vague de répression et d’emprisonnement de plusieurs figures du mouvement, orchestré par le nouveau président, Abdelmadjid Tebboune, élu en décembre la même année. Cette présidentielle, contestée par la rue, s’est jouée sans envergure, boudée par la population. Le taux de participation y a été de 39,88 %, un des plus bas dans l’histoire électorale du pays.
Ironiquement, le nouveau chef de l’État prône depuis son arrivée en poste l’« El Djazair El Djadida » ( la Nouvelle Algérie) fondée sur une réforme de la Constitution que le pouvoir en place a opposée à cette révolution populaire. La mutation proposée est toutefois loin de répondre aux aspirations exprimées par le Hirak, qui a rejeté l’initiative en ne participant pas au référendum visant à approuver le chantier. Un quart des Algériens à peine s’est présenté aux urnes en novembre dernier.
La semaine dernière, en prévision des deux ans du mouvement prodémocratie, le régime a cherché l’apaisement en libérant plusieurs dizaines de prisonniers d’opinion. Rachid Nekkaz, une des figures du Hirak, derrière les barreaux pendant 443 jours, et Khaled Drareni, correspondant de TV5 à Alger, en font partie. Ce dernier a été condamné à trois ans de prison ferme l’été dernier pour « atteinte à l’unité nationale » et « incitation à attroupement non armé », en raison des reportages publiés sur le mouvement.
Le président a de plus dissous le Parlement et orchestré un remaniement ministériel, sans toutefois réussir à convaincre de sa volonté d’offrir une nouvelle perspective à l’opposition.
Une ouverture douteuse
« Nous sommes devant des mesures purement cosmétiques, a commenté Ibticem Aj, membre du groupe qui organise chaque dimanche une manifestation de Québécois d’origine algérienne à Montréal, en soutien au
Hirak. Les intentions du pouvoir n’ont pas changé et les libérations n’ont servi qu’à calmer un peu les esprits à la veille de l’anniversaire »
« Nous avons déjà joué dans ce film-là, l’an dernier, avant le premier anniversaire du Hirak », dit Saïd Salhi, qui rappelle que l’oscillation entre répression et détente est une spécialité du régime en Algérie, depuis des années. « Sur les 70 prisonniers politiques, il en reste toujours la moitié en prison », fait-il remarquer.
L’indifférence des Algériens envers ces mains tendues a d’ailleurs été amplifiée par le maintien en poste du premier ministre, Abdelaziz Djerad, pourtant largement critiqué par le mouvement prodémocratie, mais également des ministres de la Justice Belkacem Zeghmati et du ministre de la Communication Ammar Belhimer. Le premier incarne la répression judiciaire contre les opposants au régime en place. Le deuxième, le contrôle des médias et les atteintes portées contre la liberté d’expression, un champ que le Hirak appelle à libérer.
« Le gouvernement a opté depuis le début du mouvement pour une feuille de route qui a été continuellement rejetée par la rue, dit Saïd Salhi. Il s’agit d’une fausse solution à une crise politique et sociale qui attend désormais des gestes plus forts, une volonté plus claire du gouvernement d’avancer vers la démocratisation du pays » Et rien d’autre.
Un appel qui vient de trouver son deuxième souffle dans le rebond du Hirak cette semaine, après une pause COVID qui n’aura été qu’un « nuage en été » sur une « authentique révolution qui ne s’éteindra que lorsqu’elle aboutira », a écrit cette semaine Ali Bahmane dans les pages du quotidien El Watan.
« Ce n’était pas la célébration d’un anniversaire, a-t-il ajouté au regard des manifestations qui ont repris le chemin de la rue cette semaine. C’était une accélération de l’histoire. »
Le pouvoir algérien avait fait le pari de la mort du Hirak. Mais cela ne s’est pas produit. Au contraire. On a vu cette semaine le peuple algérien s’exprimer et maintenir ses revendications. SAÏD SALHI