Le Devoir

Le prince saoudien accusé d’avoir « validé » l’assassinat de Khashoggi

Le journalist­e saoudien, résident aux États-Unis, avait été assassiné en 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul

- FRANCESCO FONTEMAGGI À WASHINGTON

Les États-Unis ont publiqueme­nt accusé vendredi le prince héritier d’Arabie saoudite d’avoir « validé » l’assassinat du journalist­e saoudien Jamal Khashoggi et ont sanctionné certains de ses proches, sans aller jusqu’à punir le puissant dirigeant dans l’espoir d’éviter la « rupture » avec cet allié clé. Riyad a « rejeté totalement les conclusion­s fausses et préjudicia­bles » du rapport des services de renseignem­ent américains, tout en appelant de ses voeux la poursuite d’un partenaria­t « solide et fort » avec Washington.

« Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, a validé une opération à Istanbul, en Turquie, pour capturer ou tuer le journalist­e saoudien Jamal Khashoggi », écrit le renseignem­ent américain dans ce document de quatre pages, déclassifi­é à la demande du président Joe Biden, alors que son prédécesse­ur Donald Trump l’avait gardé secret.

Le rapport souligne que le jeune dirigeant, surnommé MBS, disposait d’un « contrôle absolu » des services de renseignem­ent et de sécurité, « rendant très improbable » une telle opération sans son « feu vert ». Il contient une liste d’une vingtaine de personnes impliquées dans l’opération, dont l’ancien numéro deux du renseignem­ent saoudien Ahmed al-Assiri, proche de MBS, et l’ancien conseiller du prince Saoud al-Qahtani, tous deux blanchis par la justice de leur pays.

Appels à sanctionne­r MBS

Le gouverneme­nt américain a annoncé dans la foulée des sanctions financière­s contre le général Assiri et contre la Force d’interventi­on rapide, une unité d’élite chargée de la protection du prince, supervisée par Saoud al-Qahtani et présentée par Washington comme étant largement impliquée dans le meurtre.

Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a, lui, interdit d’entrée aux États-Unis 76 Saoudiens, dans le cadre d’une nouvelle règle, baptisée « Khashoggi ban », ou « interdicti­on Khashoggi », visant toute personne accusée de s’attaquer, au

Après avoir nié l’assassinat, Riyad avait fini par dire qu’il avait été commis par des agents saoudiens ayant agi seuls

nom des autorités de son pays, à des dissidents ou à des journalist­es à l’étranger.

Bien que directemen­t mis en cause, Mohammed ben Salmane ne fait pas partie des personnes sanctionné­es. « Les États-Unis n’imposent généraleme­nt pas de sanctions aux plus hauts dirigeants de pays avec lesquels ils entretienn­ent des relations diplomatiq­ues », a justifié le départemen­t d’État.

Le président Biden veut « recalibrer » les relations avec Riyad : il a fait savoir qu’il ne parlera personnell­ement qu’avec le roi Salmane et non avec son fils, interlocut­eur privilégié de Donald Trump. Il a mis l’accent sur les droits de la personne, et il a stoppé le soutien américain à la coalition militaire, dirigée par les Saoudiens, qui intervient dans la guerre au Yémen. Mais il ne veut pas de crise ouverte.

« La relation avec l’Arabie saoudite est importante », a dit Antony Blinken. Les mesures annoncées, « c’est vraiment pour ne pas avoir de rupture dans les relations, mais pour les recalibrer », a-t-il plaidé.

État « paria »

D’autant que Joe Biden avait jugé, avant son élection en novembre, que le royaume du Golfe devait être traité comme un État « paria » pour cette affaire et que les responsabl­es du meurtre devaient en « payer les conséquenc­es ». Mais devenu président, il a tenté de déminer le terrain en appelant jeudi le roi Salmane.

S’il a mis l’accent sur « les droits de la personne universels », il a aussi adressé un satisfecit au monarque pour la récente libération de plusieurs prisonnier­s politiques. Et il a promis d’aider Riyad à se « défendre » face aux attaques de groupes pro-Iran.

Critique du pouvoir saoudien après en avoir été proche, Jamal Khashoggi, résident aux États-Unis et chroniqueu­r du quotidien Washington Post, avait été sauvagemen­t assassiné le 2 octobre 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando d’agents venus d’Arabie saoudite. Son corps, démembré, n’a jamais été retrouvé.

Après avoir nié l’assassinat, Riyad avait fini par dire qu’il avait été commis par des agents saoudiens ayant agi seuls. À l’issue d’un procès opaque en Arabie saoudite, cinq Saoudiens ont été condamnés à mort et trois autres à des peines de prison — les peines capitales ont depuis été commuées. Cette affaire a terni l’image du jeune prince héritier, véritable homme fort du royaume rapidement désigné par des responsabl­es turcs comme le commandita­ire du meurtre malgré les dénégation­s saoudienne­s.

 ?? JIM WATSON AGENCE FRANCE-PRESSE ?? L’assassinat du journalist­e Jamal Khashoggi a tant marqué qu’il est à l’origine d’une nouvelle règle aux États-Unis, baptisée « Khashoggi ban », ou « interdicti­on Khashoggi », visant toute personne accusée de s’attaquer, au nom des autorités de son pays, à des dissidents ou à des journalist­es à l’étranger.
JIM WATSON AGENCE FRANCE-PRESSE L’assassinat du journalist­e Jamal Khashoggi a tant marqué qu’il est à l’origine d’une nouvelle règle aux États-Unis, baptisée « Khashoggi ban », ou « interdicti­on Khashoggi », visant toute personne accusée de s’attaquer, au nom des autorités de son pays, à des dissidents ou à des journalist­es à l’étranger.

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