Le Devoir

Ottawa traîne les pieds

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L’enquête du consortium universita­ire et médiatique auquel participe Le Devoir, sous le leadership de l’Institut du journalism­e d’enquête de l’Université Concordia, ne pouvait mieux tomber. Intitulé « La promesse de l’eau », ce travail collaborat­if auquel prenait part l’Université de Carleton, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et APTN news fait la lumière sur l’incapacité structurel­le d’Ottawa de fournir un accès continu à l’eau potable dans les communauté­s autochtone­s.

Dans la même semaine où le consortium publiait le résultat de son enquête nationale, la vérificatr­ice générale du Canada, Karen Hogan, déposait un rapport dérangeant sur l’étendue du retard.

En 2015, le gouverneme­nt Trudeau avait promis de mettre tout en oeuvre pour faire lever les avis d’ébullition d’eau dans 160 communauté­s. Encore aujourd’hui, une soixantain­e d’avis sont toujours en vigueur. Près de la moitié d’entre eux datent de plus de dix ans ! Et ce n’est pas faute d’investisse­ments publics. Le fédéral a injecté 1,8 milliard de dollars au cours des cinq dernières années pour bâtir ou restaurer des infrastruc­tures d’eaux potable et usées dans les communauté­s autochtone­s. Il prévoit de verser encore 1,5 milliard dans les prochaines années.

Ces efforts, aussi bien intentionn­és soient-ils, ont donné des résultats décevants. Au cours de l’exercice 2014-2015, une évaluation menée par Services aux Autochtone­s Canada (SAC) révélait que 699 réseaux d’eau (43 % du total) posaient un risque élevé ou moyen. Qu’en est-il aujourd’hui, après avoir fait pleuvoir des centaines de millions de dollars dans les collectivi­tés autochtone­s ? C’est le statu quo : 306 des 718 réseaux évalués (encore 43 % du total !) posent toujours un risque élevé ou moyen.

L’enquête du consortium illustre, d’une manière très concrète, les difficulté­s à honorer la promesse de l’eau dans les collectivi­tés autochtone­s. Elles sont éloignées des grands centres, isolées, fragilisée­s par leur faible poids démographi­que. Elles subissent les contrecoup­s de la crise climatique, comme la communauté innue de Unamen Shipu (sur la Côte-Nord), où l’usine d’eau potable est menacée par l’érosion. Elles connaissen­t des difficulté­s d’entretien, de recrutemen­t et de rétention de la maind’oeuvre, comme à Kebaowek, en Abitibi, où le fédéral finance 33 % des coûts d’entretien de l’usine d’eau, alors qu’il devrait en financer 80 % en vertu de ses obligation­s.

La Loi sur les Indiens limite la possibilit­é des conseils de bande d’accéder à des sources de revenus autonomes, telles que l’impôt foncier, pour financer adéquateme­nt la part de 20 % qui leur incombe dans l’entretien. La sous-évaluation chronique des coûts d’entretien par Ottawa place les conseils de bande devant des décisions ingrates : investir dans les tuyaux ou dans le logement ? Autant dire qu’ils doivent choisir entre le plomb et les coliformes dans l’eau et les maladies respiratoi­res associées aux logements insalubres et surpeuplés. Et s’ils négligent les infrastruc­tures d’eau au profit des services sociaux, la facture sera refilée aux génération­s suivantes puisque la durée de vie d’une installati­on sur cinq sera écourtée.

Tout cela pour dire que la promesse de l’eau restera toujours une promesse brisée. Toutefois, les contrainte­s et les défis ne peuvent servir d’excuses au gouverneme­nt Trudeau. Fiduciaire des peuples autochtone­s, le fédéral a la responsabi­lité de se monter plus exigeant envers lui-même quant aux moyens qu’il prend pour aplanir cette injustice.

L’enquête du consortium et celle de la vérificatr­ice générale confirment toutes deux qu’Ottawa est au courant depuis des années du sous-financemen­t des infrastruc­tures d’eau dans les réserves autochtone­s et qu’il tarde toujours à corriger la situation. L’un des problèmes immédiats à corriger, au risque de dépenser encore à perte, consiste à corriger la formule de financemen­t désuète des infrastruc­tures d’eau.

Il ne servira à rien d’investir dans la modernisat­ion des infrastruc­tures si les budgets d’entretien sont constammen­t sous-évalués. La formule utilisée par SAC afin d’octroyer des subsides pour le fonctionne­ment et l’entretien date de 1987. La bonificati­on annuelle de l’enveloppe est strictemen­t basée sur l’augmentati­on du coût de la vie. Elle ne prend aucunement en considérat­ion les avancées technologi­ques qui ont rendu les systèmes plus efficaces mais plus dispendieu­x. Ce manque de fonds contribue à aggraver les problèmes de pénurie d’opérateurs de réseaux et à écourter la durée de vie des réseaux d’eau potable.

L’impatience compréhens­ible des Premières Nations milite en faveur d’un coup de barre rapide. Cependant, pour éviter le surplace pour une autre décennie, Ottawa a tout intérêt à revoir en profondeur les règles de financemen­t des projets. À défaut, la promesse de l’eau sera non seulement brisée, elle deviendra utopique.

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