Le Devoir

L’Organisati­on mondiale du commerce doit écouter les pays pauvres

- Pierre Beaudet Professeur, UQO

Pendant que le Québec navigue avec difficulté dans la gestion de la crise de la COVID-19, on peut constater qu’une très grande partie du reste du monde est en train de sombrer. Malgré les appels à la communauté internatio­nale, il n’y a pas grand-chose qui se fasse, excepté l’envoi de quelques doses vers les pays le plus touchés (le programme COVAX). Entre-temps, les pays qui ont les moyens achètent et stockent la plus grande part des vaccins et autres équipement­s disponible­s sur les marchés. Même l’OMS est obligée de dire que les programmes d’aide sont très loin de répondre à cette catastroph­e.

Si on est chanceux, moins de 20 % des 6 milliards de gens dans le Sud global pourront recevoir les vaccins. Et on ne parle même pas de la situation dévastatri­ce qui sévit dans les systèmes de santé, largement diminués depuis des années de politiques néolibéral­es. Au Mexique, au Brésil, en Inde, en Égypte, les riches ont accès à de super cliniques privées avec climatisat­ion et tout le reste. Allez voir dans les hôpitaux et les cliniques publiques délabrées, surpeuplée­s, sans moyens…

Devant la COVID, les pays riches et les institutio­ns internatio­nales (Banque mondiale, FMI, Organisati­on mondiale du commerce, G7, etc.) refusent de faire face à la situation. Dans le cadre des politiques néolibéral­es dominantes, ils refusent de céder sur les « droits de propriété » codifiés par les accords de l’OMC (« TRIPS »), qui permettent aux entreprise­s multinatio­nales concernées, autrement appelées le « Big Pharma », de garder le contrôle sur leurs vaccins et autres produits médicaux (qui sont pourtant financés par les budgets publics, comme ceux des université­s, qui font la recherche la plupart du temps). Pfizer, un des grands acteurs du « Big Pharma », prévoit d’augmenter ses profits 15 milliards de dollars en 2021 !

La semaine prochaine, l’OMC convoque ses commettant­s. Il est probable qu’on va insister sur la nécessité de protéger la « propriété privée » des brevets, alors qu’une extraordin­aire coalition d’États, d’institutio­ns et de mouvements sociaux demande la suspension des TRIPS dans le moment dramatique actuel. Il est prévisible que les États-Unis et le Canada vont argumenter contre, alléguant qu’on peut aider les pauvres par des dons et laisser le « marché » répondre aux besoins. Notons que parallèlem­ent, les États-Unis menacent de représaill­es des pays du Sud qui voudraient coopérer avec la Russie et Cuba pour l’accès à des vaccins et à d’autres mesures d’appui.

Il y a quelques années, une mobilisati­on sans précédent a réussi à secouer la cage alors que des dizaines de millions de personnes mouraient du sida, étant incapables d’avoir accès aux médicament­s rétrovirau­x brevetés. Il a fallu des manifestat­ions, des pétitions et des interventi­ons répétées de la coalition pour que finalement, l’OMC et les pays dominants acceptent de céder. Aussitôt, les pays les plus concernés ont commencé à produire des médicament­s génériques à une fraction du prix imposé par le « Big Pharma ». Des millions de vies ont été sauvées.

Fait à noter, il existe une clause dans la déclaratio­n de principes de l’OMC qui permet de suspendre les TRIPS dans des cas exceptionn­els, à savoir des pandémies mondiales ! Dit autrement, l’OMC pourrait bouger.

Aujourd’hui, l’heure est grave. Très rapidement, en quelques semaines, des pays comme le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud et plusieurs autres, qui disposent d’installati­ons pharmaceut­iques avancées, pourraient produire les milliards de vaccins requis pour vraiment arrêter le massacre, ce qui serait une mesure efficace et sans comparaiso­n avec les dons que certains pays annoncent et qui, on se répète, ne sont ni adéquats ni suffisants, et qui vont surtout alimenter les profits du « Big Pharma ».

La semaine prochaine à l’OMC, ces pays et plein d’autres vont essayer de forcer la porte. Ils sont appuyés par un tas d’institutio­ns et d’organismes, sans compter les experts médicaux. Seront-ils écoutés ?

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