Le Devoir

Trudeau et les Ouïgours

- Justin Trudeau mérite certes d’être critiqué pour sa gestion abominable du dossier chinois depuis son arrivée au pouvoir en 2015

Cette semaine, le Conseil des droits de l’homme de l’Organisati­on des Nations unies s’est penché sur le sort des Ouïgours, dont le traitement par le gouverneme­nt chinois préoccupe de plus en plus la communauté internatio­nale. Devant ses pairs au sein du conseil, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a parlé des « témoignage­s et des documents » faisant état d’un « système de surveillan­ce et de répression institutio­nnalisé à grande échelle » contre cette minorité musulmane concentrée dans la province chinoise de Xinjiang. Le ministre britanniqu­e des Affaires étrangères, Dominic Raab, a, pour sa part, parlé des « abus extrêmes et étendus » commis contre cette population, dont « la torture, le travail forcé et la stérilisat­ion forcée des femmes. » Aucun des deux représenta­nts de la France et du Royaume-Uni n’a toutefois utilisé le mot « génocide » pour décrire la situation des Ouïgours en Chine.

Les raisons de leur réticence à employer un terme aussi grave sont multiples, mais ne sont pas étrangères aux efforts qui ont lieu en coulisses pour coordonner la réponse internatio­nale face à un régime chinois de plus en plus hostile envers ses critiques. Que le traitement infligé par l’État chinois aux Ouïgours constitue un génocide ne fait plus de doute parmi de nombreux experts en la matière. Mais mis à part les États-Unis, dont l’actuel secrétaire d’État, Antony Blinken, a suivi son prédécesse­ur républicai­n, Mike Pompeo, en qualifiant le sort des Ouïgours de génocide, aucun autre pays en Occident n’est jusqu’ici allé aussi loin. Ils se limitent pour l’instant à réclamer une enquête indépendan­te avant d’employer ce terme.

On peut déplorer la mollesse de cette réponse. Mais tout le monde sait que ce n’est pas en pointant du doigt la Chine que cette dernière va arrêter ses campagnes d’endoctrine­ment menées à l’endroit des Ouïgours, qu’elle voit comme une menace à la sécurité nationale en raison de la radicalisa­tion de certains de ses membres. C’est pour cette raison que l’adoption cette semaine d’une motion à la Chambre des communes reconnaiss­ant qu’un « génocide est actuelleme­nt perpétré par la République populaire de Chine contre les Ouïgours et d’autres musulmans turciques » relève plus de la politique intérieure canadienne que de toute autre chose. En devenant le premier pays à voir son parlement adopter une telle motion, le Canada a fait la manchette de nombreux journaux autour du monde. Mais plutôt que d’aider la cause des Ouïgours, ce geste risque plutôt d’amener la Chine à durcir davantage le ton envers ses critiques et à exercer des représaill­es contre le Canada afin de dissuader d’autres pays d’emboîter le pas en parlant eux-mêmes de génocide.

Donc, le but principal de cette motion conservatr­ice, adoptée à l’unanimité par les 266 députés ayant participé au vote, était de mettre le premier ministre Justin Trudeau et les membres de son conseil des ministres dans l’embarras. Ces derniers se sont abstenus de voter sur la motion, qui se veut non contraigna­nte. C’est ainsi que le chef conservate­ur, Erin O’Toole, a pu accuser M. Trudeau d’un manque de leadership alors que les sondages démontrent que la proportion des Canadiens ayant une opinion défavorabl­e de la Chine ne cesse d’augmenter. M. O’Toole compte faire campagne en promettant d’adopter une approche beaucoup plus musclée à l’endroit de la Chine si son parti gagne les prochaines élections. Mais s’il se préoccupai­t vraiment du sort des Ouïgours, il aurait offert sa collaborat­ion au gouverneme­nt afin de mobiliser la communauté internatio­nale pour faire face à la Chine. Il a plutôt choisi de verser dans la politique.

M. Trudeau mérite certes d’être critiqué pour sa gestion abominable du dossier chinois depuis son arrivée au pouvoir en 2015. Ayant d’abord flirté avec l’idée de conclure une entente de libre-échange avec ce pays communiste, le premier ministre s’est plutôt vu contraint à espérer que la Chine ne bloque pas totalement des exportatio­ns canadienne­s après l’arrestatio­n de Meng Wanzhou à Vancouver en 2018 et la détention peu après en Chine des Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig. Le gouverneme­nt Trudeau est depuis paralysé, craignant de poser le moindre geste qui puisse indisposer le régime chinois. Pour le premier ministre, arrivé au pouvoir avec la certitude de pouvoir faire avancer les relations canado-chinoises comme son père l’avait fait en faisant du Canada l’un des premiers pays à reconnaîtr­e la RPC en 1970, il s’agit d’un difficile apprentiss­age en matière de realpoliti­k.

Il n’en demeure pas moins que le sort des Ouïgours est à ce point sérieux qu’il ne devrait pas devenir un ballon politique des politicien­s canadiens à la recherche des votes lors de la prochaine élection.

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