Mission : garder l’école ouverte, à lire en pages
Une surveillante munie d’un distributeur de liquide désinfectant accueille les élèves qui entrent à l’École secondaire de Chambly. « Replace ton masque », dit-elle à un garçon en lui envoyant du savon dans les mains.
Les jeunes se dirigent en petits groupes vers leurs casiers en suivant les flèches au sol. Tout est planifié pour que les 700 élèves se croisent le moins possible : l’école ouvre ses portes dès 7 h le matin, une heure avant le début des classes, pour éviter que les jeunes s’entassent tous en même temps dans le corridor. Les horaires de chaque niveau ont été décalés d’une dizaine de minutes pour que les élèves circulent à des moments différents dans le bâtiment.
« Je suis devenue madame COVID. La gestion des mesures sanitaires prend la plus grande partie de mon temps », raconte la directrice, Caroline Gaigeard, en nous accueillant dans l’école.
Cette femme énergique, qui travaille depuis 28 ans dans le réseau scolaire (dont 19 années comme directrice ou directrice adjointe d’école), avoue être essoufflée. Épuisée, même, par moments.
La protection contre le virus est une véritable obsession pour Caroline Gaigeard et son équipe. Rien n’est laissé au hasard. Et l’arrivée au Québec des nouveaux variants, plus contagieux que le virus original, oblige le personnel à redoubler d’efforts.
Pourquoi ? Pour garder l’école ouverte, raconte la directrice en montrant les élèves qui jouent au badminton dans le gymnase. Derrière les masques, on devine les sourires. Même si le virus circule en ville, les jeunes sortent de chez eux, bougent, viennent apprendre et se défoulent.
« On circule, on ne traîne pas », lance une surveillante d’élèves dans un corridor. La directrice a récemment recommandé à son équipe un certain lâcher-prise : le personnel était en train de s’épuiser à mesurer les centimètres entre les élèves et les millilitres de savon à chaque lavage de main.
« On doit se concentrer sur l’essentiel », explique Caroline Gaigeard.
Chaque cas d’infection au coronavirus met en marche un processus d’enquête qui mobilise toutes les énergies de son équipe : le personnel doit déterminer qui a été en contact avec les personnes infectées — en vérifiant même le siège assigné à chaque enfant dans les autobus scolaires —, puis avertir les parents d’élèves du groupe dès le moment où les tests positifs lui sont confirmés.
Des journées entières y passent. Même le samedi ou le dimanche. Et quand une classe doit fermer de manière préventive, il faut s’assurer que tout le monde a un ordinateur pour basculer en enseignement à distance.
Caroline Gaigeard a aussi consacré une partie de l’été dernier à organiser la rentrée de l’automne. Avec un bâton de 2 mètres en main, elle déplaçait des chaises et des pupitres pour faire respecter la distanciation. Elle a fait installer des panneaux de plexiglas. Elle a collé des flèches au sol. Les murs sont tapissés d’affiches rappelant les consignes sanitaires.
Ironie du sort, la pandémie a aussi marqué le début d’un chantier colossal, adjacent au bâtiment principal : l’école sera agrandie au coût de 158 millions de dollars, une promesse du député local, le ministre Jean-François Roberge. « Ça me change de gérer la COVID », lance la directrice en riant.
Travailler en congé
Au début du mois, elle a flanché. Caroline Gaigeard a ressenti plusieurs symptômes de la COVID : fatigue, mal de tête, mal de gorge, difficulté à se concentrer. Ce n’était pas le coronavirus, mais elle a été en congé de maladie durant trois jours, pendant lesquels elle a… gardé le contact avec l’école sur Teams, entre autres pour fermer une classe.
« On roule sur l’adrénaline, mais à un moment donné, on n’aura plus de réserves », dit-elle en soupirant. Elle garde pourtant le moral. L’énergie des élèves et des membres du personnel l’inspire. « Je les trouve extraordinaires. Ils sont forts. Je sens tout le monde plus vulnérable, plus à cran, mais il y a une grande résilience. »
La veille, elle avait consolé des employées épuisées, qui pleuraient. Il lui est arrivé elle-même de douter, d’envisager de quitter le métier, découragée. Puis l’énergie revient.
Sa bouée de sauvetage du moment, c’est la semaine de relâche. « J’espère enfin me reposer un peu », avance Caroline Gaigeard.
Les jeunes ont aussi besoin de cette semaine de repos. Un groupe d’élèves de troisième secondaire nous raconte les hauts et les bas de l’enseignement en alternance, une journée à l’école et le lendemain à la maison : « J’ai de la misère à me concentrer en suivant mes cours en pyjama. » « Mon chien entend japper le chien de mon prof et jappe à son tour. » « J’entends chanter un oiseau dans un de mes cours en ligne. » « Mon chat se couche sur moi, ça m’aide à me concentrer. »
Des élèves ont pris des photos durant les cours en ligne et les ont diffusées sur les réseaux sociaux. Il y a eu de l’intimidation. (Le Devoir en a parlé dans un reportage cette semaine.)
Les résultats scolaires ont baissé par rapport à une année normale, tout le monde est fatigué, « mais on va passer à travers », résume une surveillante d’élèves.
Vigilance accrue
Loin des larges avenues et des maisons coquettes de Chambly, André Maisonneuve nous reçoit à son tour dans son école primaire du quartier SaintMichel, à Montréal. L’école Léonardde-Vinci a l’indice de défavorisation le plus élevé (10 sur une échelle de 1 à 10). Les élèves sont d’origine haïtienne, latino-américaine ou arabe.
Le directeur nous reçoit dans son bureau, assis derrière un panneau de
plexiglas. Dans la pièce d’à côté, la secrétaire, Sonia Lalumière, répète les mesures sanitaires au téléphone. Des parents veulent envoyer leur enfant à l’école même s’il a des symptômes de la COVID. Travailleurs essentiels dans le réseau de la santé, ils peuvent difficilement s’absenter pour garder leur enfant à la maison.
« La gestion de la COVID, on est tout le temps là-dedans. C’est l’histoire de cette année », résume-t-il. Les parents font confiance au personnel de l’école et se montrent compréhensifs dans ce contexte inédit.
André Maisonneuve et son équipe d’une centaine d’employés, répartis dans deux pavillons, vivent les mêmes défis que partout ailleurs dans le réseau : fatigue, absentéisme, manque de personnel, anxiété. Mais tout ce beau monde garde le moral. Le directeur est impressionné par la résilience de son équipe. « Je le dis à mon monde : “Je vous lève mon chapeau”. »
Depuis deux semaines, il a augmenté le niveau de vigilance. De nouveaux variants circulent. Abritant une forte concentration de travailleurs de la santé, le quartier Saint-Michel a été un des plus « rouge foncé » de la zone rouge.
« La COVID est toujours là, dans la communauté. On est dans un secteur à risque. Ma priorité est de garder mes élèves à l’école. Je sais qu’ils en ont besoin », explique André Maisonneuve.
« Tout le monde s’adapte »
Le calme règne dans les corridors d’une propreté impeccable. Les murs sont tapissés d’affiches colorées rappelant aux enfants et au personnel de se laver les mains et de garder leurs distances.
Malika Adjout, enseignante de sixième année, confirme que les élèves respectent machinalement les mesures sanitaires. « Ça va bien, tout le monde s’adapte. Les élèves suivent les consignes. Ils ne s’approchent pas de moi, ils portent le masque. Je n’ai pas besoin de répéter, ça fait partie de la routine », explique-t-elle.
Jobnel Pierre, titulaire d’une classe de sixième année sur le même étage, admire, lui, la résilience de ses élèves. « J’ai le meilleur groupe du pays », dit-il aux représentants du Devoir. « Ouiiiiiiiii ! » répondent les enfants.
Le directeur et son équipe font tout pour que l’école continue de fonctionner à peu près normalement. Les parents et la population en général ne le savent pas, mais André Maisonneuve est constamment aux aguets : il doit s’assurer que chaque classe garde en tout temps son « kit COVID » composé de masques, de gants, d’une visière, de savon désinfectant, et ainsi de suite.
Il doit s’assurer d’avoir le personnel pour surveiller la cour de récréation, divisée en six zones. C’est aussi un défi, encore plus qu’à l’habitude, d’avoir un adulte en tout temps devant chaque classe. Les enseignants doivent s’absenter pour passer un test de dépistage, parce qu’ils ont des symptômes de la maladie ou pour d’autres raisons de santé. Les banques de suppléants sont vides, à Montréal comme ailleurs.
Le directeur a dû gérer trois chantiers, en plus de la pandémie : nouvelle cour d’école, nouveau gymnase, nouvelles salles de bains.
« Cette année, plus que jamais, une chance qu’on a la semaine de relâche », lance André Maisonneuve.
Ma priorité est de garder » mes élèves à l’école. Je sais qu’ils en ont besoin. ANDRÉ MAISONNEUVE