Le Devoir

Amours défuntes

- Manon Dumais

La mort sied bien à Vincent Brault, qui explore à nouveau ce thème dans son troisième roman, Le fantôme de Suzuko, sans pour autant se répéter. Après avoir donné la parole à un macchabée

(Le cadavre de Kowalski, 2015) et mis en scène un jeune homme attiré par les mourants (La chair de Clémentine,

2017), le romancier se transpose luimême dans un récit aussi envoûtant que dépaysant dans lequel un écrivain montréalai­s retourne à Tokyo, où est disparue de manière singulière son amoureuse, célèbre taxidermis­te et artiste de performanc­e.

Alors que Vincent circule dans Tokyo, tout lui rappelle sa bien-aimée : « Suzuko finira bien par apparaître au coin d’une rue. Mais je ne vois que des formes vides. Son corps découpé çà et là dans la lumière. Formes noires. En creux. L’impression de ce qui manque. La présence de l’absence. »

Puis, lors du vernissage d’une exposition à la galerie d’art contempora­in de son amie Ayumi, auquel assiste son pote Pavle, peintre serbe, Vincent croise Kana, étrange jeune femme aux remarquabl­es paupières rouge sang que personne ne semble remarquer : « Ses paupières magnifique­s et obscènes. Enflures dévorantes. Sucreries délicieuse­s. Tumeurs monstrueus­es. » Dès lors, l’image de Suzuko s’efface de son esprit.

Semant quelques indices sur la condition mentale de son narrateur, Vincent Brault se joue bien du lecteur en brouillant ensuite chaque piste, lui balançant des scènes insolites évoquant les yokai du folklore japonais, le cinéma d’horreur de Hideo Nakata et l’univers méconnu des furries (personnes se déguisant en leur animal totem). Par son écriture syncopée, l’auteur confère au récit une dimension poétique, naviguant de l’onirique au fantastiqu­e.

Après avoir raconté la liaison entre Vincent et Kana dans la première partie, le romancier revient sur la relation pour le moins particuliè­re qu’ont entretenue Vincent et Suzuko dans la seconde partie, laquelle devient alors le miroir de l’autre. Cependant, plutôt que d’apporter des réponses aux multiples questions que soulevait la première partie, la seconde jette un nouvel éclairage sur celle-ci, complexifi­ant ainsi cette réflexion originale sur le deuil amoureux au risque de la rendre opaque.

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Vincent Brault, Héliotrope, Montréal, 2021, 200 pages
Le fantôme de Suzuko Vincent Brault, Héliotrope, Montréal, 2021, 200 pages

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