Le Devoir

Isabelle Huppert en cheffe de bande

L’actrice se pose en daronne, délicieux contre-emploi pour cette comédie signée Jean-Paul Salomé et inspirée d’un polar de Cayre

- ODILE TREMBLAY LE DEVOIR

Adapté du roman du même titre de Hannelore Cayre, couronné en 2017 par le Prix du polar européen et le Grand Prix de littératur­e policière, La daronne de Jean-Paul Salomé a vu sa sortie en France bousculée par le calendrier pandémique. Ce qui n’a pas empêché le succès critique de cette comédie mêlée de polar, avec en vedette Isabelle Huppert, à contre-emploi dans une veine hilarante. Voici que ce film, où la mystificat­ion et la magouille deviennent son terrain de jeu, atterrit le vendredi 5 mars dans nos salles fraîchemen­t rouvertes.

Rencontrée l’an dernier à Paris, l’actrice iconique y relevait un défi de taille : pour interpréte­r ce rôle, il fallait à moult reprises parler arabe, une langue qui lui était inconnue. À coeur vaillant, rien d’impossible. « Une belle expérience, évoquait-elle alors, mais difficile. Ça m’a pris beaucoup de temps. J’ai appris avec un professeur en portant attention à la phonétique, syllabe par syllabe. Reste qu’aujourd’hui, j’ai tout oublié… »

Jean-Paul Salomé, après avoir occupé quatre ans le poste de président d’Unifrance, avait beaucoup voyagé avec Isabelle Huppert en tournée de promotion pour le film Elle de Paul Verhoeven. Il désirait la mettre en scène. Elle voulait bien, mais pour une comédie, genre pour lequel l’actrice est moins sollicitée que pour le drame. De fil en aiguille, le cinéaste des Femmes de l’ombre a été pressenti pour adapter La Daronne, dont il adorait le mélange des genres. Et comme le hasard fait bien les choses, l’interprète de La pianiste venait de lire dans l’avion le roman de Cayre, qui l’avait mise en joie. Alors, la mécanique s’est mise en branle.

Dans le film, Isabelle Huppert répond au doux nom de Patience Portefeux, une interprète judiciaire francoarab­e travaillan­t pour la brigade des stupéfiant­s de Paris. Elle s’occupe de sa mère malade, vit une relation amoureuse avec un commissair­e de police (Hippolyte Girardot), mais ne roule guère sur l’or. De hasards en coïncidenc­es, la quinquagén­aire finit par mener la double vie d’une trafiquant­e de drogue, bientôt recherchée partout. Et la voilà qui se voile comme une riche femme d’émir, lunettes fumées comprises, trimballan­t sa dégaine royale et intrigante dans les rues de Belleville, empochant l’argent des

deals. Une daronne, en argot, c’est une mère, ici l’équivalent féminin d’un parrain mafieux, d’un chef de bande.

Une femme amorale

Sa daronne, Isabelle Huppert la décrit comme une femme complèteme­nt amorale. « Elle ne se pose aucune question ; transgress­ive sans le savoir, courageuse sans le savoir non plus, jouant sur les clichés de la femme arabe. »

Jean-Paul Salomé trouvait amusant d’émerger de la « bien-pensance » du temps, comme il dit. « On s’est servi du Paris d’aujourd’hui. Je voulais capter la communauté chinoise, la troisième génération d’Arabes français. Nous avons pris des figurants dans les lieux de tournage, à Belleville, Barbès, Ménilmonta­nt. Je suis très sensible au sort de ces communauté­s dans ma société. » De fait, La daronne flirte avec le cinéma social.

Isabelle Huppert estime de concert avec le réalisateu­r que tout était déjà dans le roman à la source du film : « Un ton assez insolent, le mélange des genres, mais l’aspect “portrait de femme” a été plus accentué à l’écran. Comédie, mais pas que… Polar, mais pas que… Portrait de femme, mais pas que… C’est aussi la radiograph­ie d’une société en mutation, avec un personnage dans un certain dénuement. Le cinéma, il est politique malgré lui. Il absorbe le climat quand quelque chose advient. »

Une amitié se crée entre le personnage d’Huppert et la mystérieus­e Chinoise, Madame Fo (Jade-Nadja Nguyen), dont le cinéaste a développé la figure de force et d’énigme, comme son duo avec l’héroïne.

La grande interprète de Claude Chabrol estime que le cinéaste d’Une

affaire de femmes n’aurait pas désavoué La daronne : « Cette absence de morale mêlée à une forme d’humanisme… Ce profil de mère courage qui s’élance au-dessus d’un certain matérialis­me quand la manne se présente devant elle… Cette élégance de regard… »

Isabelle Huppert voit la relation de son personnage avec l’amant éperdu, doublé d’un flic appelé soudain à soupçonner sa flamme, comme « une histoire d’amour à l’aube de quelque chose qui n’arrive jamais ».

Pour Hippolyte Girardot, ce rôle de commissair­e de police, visité par tant d’interprète­s à l’écran sur tous les registres, n’était pas un travail de routine. « Il fallait y mettre du relief, enfourcher une histoire, expliquait-il. Sur papier, au scénario, ça peut paraître banal. Mais la part comique du film nourrissai­t mon personnage. Il est incapable de faire le macho avec Patience, éprouve pour elle un sentiment sincère, tout en étant dans l’incapacité de l’exprimer. Se joue-t-elle de lui ? Et puis, avouons-le, c’était drôle de jouer un homme empêtré, timide, face à Isabelle Huppert. Devant une grosse pointure comme elle, en tant qu’acteur, on hausse la cadence. J’aime incarner les hommes vulnérable­s et un peu ridicules. Ou bien les rôles flamboyant­s. C’est selon. »

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LYDIE NESVADBA Dans le film, Isabelle Huppert répond au doux nom de Patience Portefeux, une interprète judiciaire franco-arabe pour la brigade des stupéfiant­s de Paris. De hasards en coïncidenc­es, la quinquagén­aire finit par mener la double vie d’une trafiquant­e de drogue, bientôt recherchée partout. Et la voilà qui se voile comme une riche femme d’émir, trimballan­t sa dégaine royale et intrigante dans les rues de Belleville.

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