La réalité derrière le rêve
Lee Isaac Chung revisite ce moment où son père décida de se réinventer cultivateur en Arkansas
En janvier 2020, le film Minari est sorti grand vainqueur du festival de Sundance, raflant à la fois le Grand Prix du jury et le Prix du public. Après avoir été sélectionné dans de nombreux autres événements virtuels, pandémie subséquente oblige, et s’être illustré dans maints palmarès, le film de Lee Isaac Chung sort vendredi en salle et en VSD. En partie autobiographique, Minari voit le cinéaste revisiter un moment charnière de son enfance : celui où son père décida de se réinventer cultivateur, au début des années 1980.
Originaires de la Corée du Sud où ils n’entrevoyaient qu’un avenir morose, Jacob (Steven Yeun) et Monica Yi (Han Ye-ri) se sont installés en Californie dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils ont deux jeunes enfants, David (Alan Kim) et Anne (Noel Kate Cho). Or, lorsqu’on rencontre les Yi, la famille est déjà en route pour une deuxième vie meilleure, la première n’ayant pas tenu ses promesses. Direction : l’Arkansas.
C’est l’idée de Jacob, et il est d’emblée évident que Monica a accepté ce déménagement de mauvais gré. À la vue de la maison mobile surélevée sur pilotis sise au milieu d’une terre en friche, ou au milieu de nulle part, c’est selon, la rancoeur de Monica monte d’un cran.
Ce qui est formidable avec Minari, c’est qu’il s’agit d’un film qui en contient plusieurs, et chacun fonctionne tout en concourant à un tout cohésif. On a ainsi un drame matrimonial plombé par l’incommunicabilité et des aspirations divergentes, une chronique familiale à points de vue multiples (dont celui du petit David, alter ego du cinéaste) qui s’enrichit avec l’arrivée de Soon-ja, la mère de Monica venue de Corée pour donner un coup de main, et enfin, un drame social mettant en relief les difficultés logistiques et économiques immenses incombant à quiconque entend vivre de la terre — qui plus est dans un contexte de récession reaganienne.
Ce qui explique que Minari évoque tantôt, dans des moments de contemplation de la nature au lyrisme discret, les premiers films de Terrence Malick (Badlands, Days of Heaven), tantôt, lors de passages du quotidien ardu, tout un cycle de films à connotation sociale des années 1980, toile de fond de Minari, traitant des réalités rurales américaines (Country, The River, Places of the Heart).
Les périls de l’orgueil
La réussite dramatique de Minari tient également au fait que l’auteur expose avec énormément de finesse et d’empathie les attitudes diamétralement opposées de Monica et de Jacob : tandis qu’elle trouve refuge dans la foi et s’enquiert de la possible présence d’une diaspora coréenne sur place, lui ne jure que par sa capacité à atteindre son objectif par la seule force de sa détermination et de son labeur, se tenant par ailleurs à l’écart du monde — seul Paul (Will Patton), l’homme à tout faire qu’il a embauché, parvient à développer avec lui quelque chose comme une connexion, et encore.
Paradoxe intéressant : alors qu’il rejette la religion, ne la jugeant d’aucune utilité concrète, Jacob en est au fond à miser son va-tout (et celui de sa famille) sur un concept abstrait : le proverbial « rêve » américain.
Non que Jacob soit un homme mauvais. Pour toutes ses fautes, il ne veut que le meilleur pour les siens. Il y a toutefois une part d’orgueil dans l’obstination du personnage. En cela, la manière dont Lee Isaac Chung fait lentement mais sûrement ressortir ce trait jusqu’au point de culmination dramatique s’avère particulièrement satisfaisante et fait oublier certaines carences rythmiques.
Il importe en outre de signaler l’excellence de la distribution : les interprètes, adultes comme enfants, sont au parfait diapason les uns des autres. Ceci dit, il faut quand même admettre que Youn Yuh-jung vole la vedette en grand-mère aussi atypique qu’attachante. Un très beau film, dont on comprend sans peine qu’il ait séduit jurés et cinéphiles à Sundance.
Minari (V.O. et V.F.)
Drame de Lee Isaac Chung.
Avec Steven Yeun, Han Ye-ri, Youn Yuh-jung, Alan Kim, Will Patton. États-Unis, 2020, 115 minutes. En VSD sur la plupart des plateformes et en salle aux cinémas Forum et Parc.