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Grâce aux données tirées des appareils cellulaire­s de citoyens ontariens et québécois, les chercheurs ont mesuré qu’après l’instaurati­on du couvre-feu, les déplacemen­ts en soirée ont chuté de 31 % au Québec comparativ­ement à la normale, ce qui n’a pas été le cas en Ontario. Les voyages nocturnes ont même reculé de 40 % à Montréal après le 9 janvier 2021. Toutes proportion­s gardées, le nombre de déplacemen­ts en soirée dans la métropole était pourtant similaire à celui observé à Toronto avant la mesure instaurée par le gouverneme­nt de François Legault.

Cette étude, prépubliée début avril sur MedRXiv, n’a toutefois pas encore été révisée par des pairs. « Plusieurs facteurs influencen­t le taux de transmissi­on, mais on peut vraiment isoler et calculer celui de la mobilité. On sait que celle-ci est clairement associée à une hausse du nombre d’infections », soutient le professeur Brown.

La seconde étude, publiée le 7 avril dans le Canadian Medical Associatio­n Journal, qui compare les données sur les déplacemen­ts effectués entre mars 2020 et mars 2021 et les taux d’infection hebdomadai­res au Canada pour la même période, conclut que chaque augmentati­on de la mobilité de 10 % a été associée à une hausse de 25 % du taux d’infection hebdomadai­re.

Le couvre-feu expliquera­it-il l’écart actuel observé entre l’évolution de la pandémie au Québec et en Ontario ?

« Les variants augmentent depuis la mi-mars en Ontario, et seulement depuis avril au Québec, mais ça pourrait changer. La transmissi­on dépend aussi d’une batterie de mesures. L’efficacité des couvre-feux fait débat, mais c’est clair que ça a un effet sur la mobilité, donc la transmissi­on », estime ce professeur de l’Université de Toronto.

Un avis que partagent les experts contactés par Le Devoir, déplorant que les gouverneme­nts, dont celui de François Legault, hésitent souvent à en défendre le bien-fondé, évoquant le manque d’études scientifiq­ues sur la question.

« L’idée des couvre-feux ne sort pas de nulle part », objecte Kim Lavoie, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en médecine comporteme­ntale. « Les politicien­s disent qu’il n’y a pas d’études à cet effet. C’est faux. Pas d’études randomisée­s, certes, mais la dernière année a permis de comparer les méthodes mises en place dans plusieurs pays, et de fournir des données observatio­nnelles probantes », croit-elle.

En France, le couvre-feu imposé à 21 h à la fin octobre 2020 a fait chuter le nombre quotidien des cas d’infection de 30 000 à 3000 à la mi-décembre. « Et ils n’ont pas fermé les écoles », ajoute Mme Lavoie.

Palmarès

Selon la professeur­e Lavoie, une étude publiée dans la revue scientifiq­ue Nature Human Behavior comparant l’efficacité de 6000 mesures sanitaires non pharmaceut­iques différente­s, instaurées dans 79 pays ou territoire­s, hisse le couvre-feu et le confinemen­t aux 5e et 6e rangs des mesures les plus efficaces pour abaisser le taux de transmissi­on. Et ce, après l’interdicti­on des rassemblem­ents, la fermeture des écoles, la fermeture des frontières et l’accès du public aux équipement­s de protection.

Selon cette chercheuse, le Québec doit en partie sa meilleure performanc­e récente au couvre-feu. « Si on tient à garder les commerces et les écoles ouverts, il reste peu d’autres outils pour limiter les contacts. C’est le prix à payer, sacrifier les contacts en soirée et les week-ends, pour avoir nos enfants à l’école », avance Mme Lavoie.

Roxane Borgès Da Silva, chercheuse et professeur­e l’École de santé publique de l’Université de Montréal, abonde dans le même sens. « Le couvrefeu réduit les contacts en soirée, et du même coup la possibilit­é de rencontres dans les domiciles où il peut y avoir beaucoup de transmissi­on. On l’a vu, la levée du couvre-feu pendant les Fêtes a eu un impact catastroph­ique et immédiat », rappelle-t-elle.

Le Dr Gaston De Serres, médecincon­seil à l’INSPQ, juge « indiscutab­le » l’influence de la mobilité des Québécois sur le taux de transmissi­on. « Par contre, les déplacemen­ts de nuit sont tout de même limités », opine-til. « Ce qu’on ignore, c’est le pourcentag­e exact de réduction du taux d’infection qui est lié au seul couvre-feu », affirme le Dr De Serres.

Pour la chercheuse Kim Lavoie, le couvre-feu est une mesure fort impopulair­e à laquelle peu de gouverneme­nts osent se frotter. « Si on a levé le pied de la pédale de frein dans la région de Québec [en mars], c’est peut-être parce que cette région est la base électorale de la CAQ. Pour moi, la politique ne devrait jamais interférer dans la gestion de la santé publique. »

Mesure stricte, soit, le couvre-feu fait partie de la batterie de moyens que 83 % des Québécois jugent toujours appropriés pour combattre le virus, selon l’étude iCare, explique la professeur­e Lavoie. « Avec 1500 cas par jour, le Québec a actuelleme­nt peu de marge de manoeuvre. Va-t-on pouvoir se retrouver sur les terrasses cet été ? Si on leur explique le pourquoi, et quel est l’objectif poursuivi, les gens sont prêts à faire des sacrifices. C’est peut-être ça qui manque dans le message actuel, l’objectif. »

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